*Putain ! Je déteste être réveillé par obligation.*

Ce fut la première pensée de Tär. Il avait promis à Sheiz, son supérieur et ami de venir l'aider à réparer quelques planches des ponts environnants la grande résidence. Il n'avait accepté que par obligation et parce qu'il tenait beaucoup à lui et ne voulait pas le décevoir. D'ordinaire il aurait rit et serait parti sans même esquisser une réponse, mais dans ce cas là il n'avait put qu'osciller la tête pour accéder à la requête du seconde de la meute et ainsi s'engager à abandonner son idée de dormir bien tranquillement en cette matinée. C'est pour ça qu'il était debout, à peine vivant, les yeux mi-clos et vitreux et qu'ils erraient dans le village, le pas traînant et la mine mauvaise en direction de l'endroit où Sheiz lui avait donné rendez-vous.

Comme il était tôt et que Tär, vous l'aurez compris, n'était pas du matin, il avait un peu de retard sur l'horaire fixé. Rien de très grave d'après lui mais ça c'était avant d'arriver. Lorsqu'il arriva, Sheiz était déjà à l'ouvrage et commençait à s'affairer sur le pont. Rien que de le voir, Tär sentit un dynamisme nouveau l'envahir, le second lui donnait une joie de vivre que personne d'autre n'arrivait à lui procurer, pas même Solena : elle, il l'aimait mais ce n'était pas la même relation. Sheiz était le lycan qui l'avait enrôler, certes dans la foulée il avait rencontré Gilh'Or, mais ce dernier était son chef et jamais il n'arriverait à côtoyer quelqu'un avec un tel charisme que celui de son chef. Bref, il s'approchait de l'autre lycan quand celui-ci le salua... à sa manière :

Ah ben c'est pas trop tôt !!!!

Cela eut comme effet de faire sourire Tär, il avait vu le visage de Sheiz souriant, comme à chaque fois qu'ils étaient ensemble, il savait que rien de tout cela n'avait une seule once de méchanceté et toute façon il lui rendait bien.

"Contrairement à toi, j'ai besoin d'un minimum de sommeil pour être en forme." désignant les cernes qui trônaient sous ses yeux jaunes.

Tout en s'approchant de plus en plus proche de Sheiz, il s'accroupit pour prendre les outils dont il allait avoir besoin pour effectuer le réparation du pont pour lequel il était venu. Il se saisit du strict nécessaire. Il se releva et là l'horreur survint. La planche sur laquelle se tenait Sheiz s'était ébréché dans toute sa largeur et ce dernier était passé au travers, tentant désespérément de se raccrocher aux autres planches. De là où il était, le guérisseur pouvait voir la partie inférieure du corps à Sheiz s'agitait tandis que la partie supérieure, elle, essayait tant bien que mal de ne pas passer sous le pont.

Tär ne réfléchit pas et courut tout en attrapant l'extrémité d'une corde au passage, il était encore à quelques mètres de Sheiz et ne s'inquiétait pas vraiment pour l'instant. Jusqu'à ce que la planche à laquelle s'était accroché Sheiz lâche à son tour, larguant dans le vide son paquetage : le second de la meute. Tär courut aussi vite qu'il put puis bondit dans le trou essayant en vain de saisir le poignet de son ami, de son frère. Ce qu'il ne réussit pas à faire, heureusement, il avait encore le bout de corde en main et il le jeta dans le vide. Espérant au plus profond de lui même que Sheiz réussissent à s'en saisir..

Sauvé. Sheiz avait rattrapé à temps la corde que Tär lui avait lancé. Il était sauf. Le lycan était focalisé sur cette idée qu'il n'entendit pas et ne sentit pas que la planche cédait peu à peu en dessous de lui. Il tentait tant bien que mal d'aider son ami à remonter, tirant sur la corde pour accélérer la remontée, il ne se rendait pas compte qu'il exerçait une force de plus en plus grande sur la planche et que celle-ci se fracturait de façon très effrayante de secondes en secondes. Sheiz était presque au bout, leurs doigts pouvaient s'entrelacer à un moment ou à un autre. C'était sans compter sur la planche en dessous des pieds de Tär, celle ci émit un craquement sonore effrayant, un parfait milieu entre le craquement d'un tibia sous les crocs d'un lycan et le bruit d'une brindille qui craque sous le poids d'un homme. Un son tout à fait sinistre qui fit frissonner les deux amis, les plongeant dans une angoisse latente qui ne dura qu'un très très court instant mais qui parut les figer sur place durant des minutes entières...

C'est alors que la planche craqua. Tär s'effondra, ne sentant plus rien qui le retenait, il se sentit léviter un moment puis tomber, tous ses organes remontèrent d'un seul coup, lui donnant une envie de vomir incommensurable. C'était foutu pour lui, il allait mourir comme un con, écrasé sur des rochers au fin fond d'une rivière dans son propre camp, une mort trop stupide, même pour lui. C'est à ce moment qu'il entendit Sheiz lui crier de s'accrocher, il tendit son bras tremblant dans le vide et il sentit quelque chose la lui saisir. Son frère l'avait sauvé de la mort, il l'en remerciait de tout son coeur, mourir ici était la dernière chose que le guérisseur désirait. Les deux lycans ne devaient désormais leur survie qu'à la mince corde à laquelle était accroché Sheiz.

Qu'allaient-ils faire, ils étaient là, deux âmes frères suspendues à un misérable bout de ficelle qui menaçait de céder à tout instant. Tär ne vivait que grâce à la main de Sheiz et aux forces qu'il lui restait. Pour essayer de le soulager de son propre il se saisit lui aussi de la corde puis lâcha la main de Sheiz : Grâve erreur. La corde s'effilocha au dessus de leurs deux têtes, le guérisseur serra les dents et se raidit :

"Bon là... ça commence à sérieusement sentir le rouss..."

La corde céda bel et bien et se sectionna en deux morceaux, Tär et Sheiz tombèrent dans le vide, si la chance n'était pas avec eux, ils mourraient définitivement et radicalement, il fallait qu'ils évitent les rochers qui les tueraient à coup sûr et ensuite prier pour que le choc avec l'eau ne soit pas trop brutal. La chute parut durer une éternité pour Tär, il avait beau tomber, l'eau ne s'approchait jamais et d'un seul coup, le choc fut là, il sentit la morsure gelée de l'eau avec son corps entier tout d'abord, la vitesse qu'ils avaient pris durant leur descente avait provoqué un impact des plus durs à encaisser, l'épaule de Tär se brisa sur le coup. Puis vint la morsure du froid, l'eau était à une température tellement basse, provenant d'une source naturelle... Rien de plus normal tout compte fait. Cette froideur, l'envahit, d'abord sa peau le brûla en totalité, il ne sentait plus rien, tout devenait confus, son cerveau était en train de le lâcher peu à peu jusqu'à ce qu'il sombre totalement dans un noir total.

*Suis-je en train de mourir ? Où m'emmènes-t-on ?* furent ses dernières pensées...

*J'ai froid*

Plongé dans les plus profonds ténèbres qu'il soit possible de créer. Tär rêvait, ou du moins le croyait-il, il ne savait pas où il était. Il faisait sombre, glaciale même. Le lycan avait perdu toute notion du temps. Puis vint la lumière, oui, un rai de lumière blanche commençait à percer dans cette noirceur, il grossissait à vu d'oeil jusqu'à créer une véritable explosion dans l'esprit de Tär, il était de retour au dessus des eaux. Au dessus ? Oui, il vivait la scène comme un personnage extérieur. Il voyait Sheiz se démener pour lui garder la tête hors de l'eau et pour sortir de cette rivière maudit, il ressentait sa tristesse, mais il était coincé, oui, entre deux mondes distincts qui se mêlent mais qui ne se rejoigne pas. C'est à ce moment qu'il aperçut les chutes, il aurait aimé prévenir Sheiz, il s'évertuait même à le faire. Mais il était impuissant. Impuissant face à ce qui l'attendait. Enfin, Sheiz vit ce qui les attendaient. Tär fut à demi soulagé, au moins était-il conscient du danger maintenant :

"Les chutes !!!! Réagi !!! Vite !!!!!"

Que faire dans une telle situation, comment rejoindre un corps qui est notre lorsque l'esprit, lui, s'en est enfui. La question de sa mort lui passa même par l'esprit. Si ça se trouve, lorsque l'on meurt, notre esprit reste auprès de notre corps sans aucun moyen d'action. Tär fut envahie de tristesse incontrôlable, son esprit pleurait, oui il pleurait et il constata même que son corps pleurait aussi. Certes il était trempé mais il le discerna quand même : Il n'était pas mort, il était dans un état de somnolence profond mais il n'était pas mort. Rassuré, il chercha la force en lui qui lui permettrait de lier à nouveaux ces deux mondes dans lesquels il existait en ce moment.

Le guérisseur chercha au plus profond de lui même, en vain. Son esprit ne voulait pas réintégrer son corps. Dans un dernier espoir il se concentra, se laissant guider par son subconscient puis il eut le déclic : Il était sur la bonne voie. L'obscurité emplit à nouveau l'espace mais cette fois-ci, Tär était serein, d'une seconde à l'autre il se réveillerait. Oui, il allait continuer à vivre, s'il survivait aux chutes bien sur.

Il surgit de nouveau, se cambrant en arrière et ingurgitant une grosse quantité d'air. Il avait de l'eau dans la gorge et il s'étouffa avec, Tär n'eut pas le temps de se ré adapter. Il fallait qu'ils se sortent de là et vite. Observant autour de lui, il remarqua tout de suite la proximité certaine et mortelle des chutes et son esprit ne fit qu'un tour, il tâtonna autour de lui dans la recherche d'une prise assez solide pour leur permettre de faire face au courant plus que violent du cours d'eau. Sa main se referma sur une racine, il l'attrapa et tira violemment dessus pour en tester la solidité, celle ci céda net et s'arracha des graviers composant le fond de l'eau. C'est à ce moment que Tär aperçut l'arbre déraciné qui s'arrêtait au dessus du torrent.

"Il faut que nous accrochons à ça" cria-t-il en espérant que Sheiz l'entende malgré le brouhaha causé par les chutes

La branche s'approchait d'eux à grande vitesse, ils n'auraient qu'une seule et unique, s'ils ne la saisissaient pas, c'en serait fini d'eux. Le guérisseur tentait du mieux qu'il pouvait de lutter contre le courant mais ces muscles des jambes étaient faibles et il trébucha à maintes reprises. Malgré tout, il réussit à prendre appui et à s'élancer en l'air pour saisir la branche. Il y parvint mais il avait oublié qu'il s'était brisé l'épaule et la douleur du choc le foudroya net, surpris par la douleur, il lâcha prise et tomba à nouveau dans l'eau, à la merci des rapides...