Retranchée dans un endroit calme de la ville, je pris ma plume, un peu de l'encre qui me restait et un rouleau de parchemin pour bafouiller quelques mots. L'heure n'est plus aux certitudes. Les Titans se sont emparés des principales contrées de notre monde. Saviez-vous que lorsqu'une terre disparaissait de la main d'un Titan, de l'eau jaillissait des bas-fonds pour recouvrir la destruction? Nous sommes pieds et poings liés, notre cécité nous empêche d'avancer. Nous nous battons dans l'obscurité de la défaite, nous ne faisons que subir les assauts de ces Divinités qui dévastent tout. Bientôt, Ephaëlya ne sera plus...

J'ai peine à croire que tout se finisse. Point d'éloge flatteur de ma part, mais j'ai agréablement vécu. J'ai mené mon peuple dans le droit chemin, je leur ai enseigné le respect d'autrui et ils m'ont donné le courage de continuer. Moi, Symphonie Ancestry, je vais m'éteindre d'une main hasardeuse sur ma poitrine, parce que l'heure qui régie l'arrêt de ma vie va caresser mon cœur. J'ai fait mon temps. J'ai prôné la tolérance et l'amour, j'ai donné toute mon âme pour la réunification de nos peuples et la paix. J'ai eu deux filles, Elizabeth et Sophie-Anne, un magnifique compagnon qui a allumé en moi l'éveil d'une pensée nouvelle. J'aime à croire que mon séjour sur Ephaëlya, après ces six cent années, ont apporté, si ce n'est de réels changements, un espoir nouveau dans le cœur et le corps des gens qui croient en l'union. J'aimerais penser que par je ne sais quel miracle, nous vaincrons ces Titans tous ensemble au lieu de nous entretuer.

"Un arbre qui tombe fait plus de bruit que la forêt qui pousse." Jadis, cette expression soufflait des vagues d'espérance dans ma carcasse à moitié morte. Désormais l'espoir s'envole et les joies retombent.

Si par un heureux hasard ma main et le poignard qu'elle tend se ravise à l'idée de rencontrer mon cœur brûlant d'envie dans les prochains jours, j'écrirai encore quelques gribouillis. La fin de la guerre s'annonce épique, et c'est le début d'une fin que nous voyons percer. Je repense à Céleste, mon amour. Quelques dizaines d'années de passion mais mon éphémère éternité marquée à jamais. Il a donné un sens à mon existence et m'a permis d'avoir mes deux filles que j'admire comme j'admire le décor inestimable de la nature. C'est le père de mes enfants, l'unique raison de mon ascension. Sans lui la vampire que je suis ne serai qu'une vulgaire éméchée, prête à tout pour un peu de pouvoir et de reconnaissance. Céleste, mon humain adoré...

Si je venais à mourir, et parce qu'Elizabeth est trop jeune, je cède mes honneurs, mes capacités et mon statut d'Impératrice de la Cité d'Izrahàm à ma seconde fille, Sophie-Anne Ancestry. Bien que fougueuse et démesurée dans certains de ses actes, ma confiance lui revient et mon amour portera ses épaules encore frêles. Je connais ses envies et ses aspirations, je connais ses qualités comme ses désavantages. J'espère un jour retrouver mes douces filles au pieds d'un chêne, et dans la clarté obscure de la nuit leur donner ce qui me reste d'amour et de lucidité.

La fatigue se propage en moi comme une maladie humaine. J'ai faim, je suis sale et les rues d'Izrahàm sont abandonnées. Je ferai mieux de partir avant qu'on ne me trouve et qu'on décide d'entamer ma convalescence.

Symphonie Ancestry.