- LA GRANDE SALLE -

Les deux lycans ne traversèrent pas la salle. Les lourdes portes en bois noir et brillant s'ouvrirent devant eux. Des dorures, des motifs sculptés avec méticulosité semblaient donner vie à ces battants. Ils représentaient essentiellement des loups, beaucoup de loups. Sylviana fit quelques pas mais demeura dans le premier tiers de la salle.

La Grande salle était dans son ensemble, immense et magnifique, pourvue d'un mobilier raffiné et luxueux. Il faut dire que les chefs précédents avaient un goût certain pour le confort. De grandes fenêtres offraient une lumière sans pareil mais de lourdes tentures noir et or occultaient les glaces. La nuit venue, on masquait ces ouvertures pour assurer la tranquillité des occupants. Six cheminées grandioses nourrissaient des flammes ardentes, réchauffant la salle sans effort. Des arches divisaient le plafond en trois parties, dépassant d'un mètre, offrant ainsi la possibilité de couper la salle sans recourir à des lourdes décorations. La partie la plus éloignée arborait fièrement une table ronde aux dimensions grandioses. Percée en son sein, on pouvait sans hésiter y faire jouer des troubadours, cuire de la viande et bien d'autres choses. De lourdes chaises en bois, finement travaillées, recouvertes des tissus les plus soyeux, formaient comme une barrière autour de cette table. Impossible d'en déterminer le nombre. Le créateur de ces merveilles avaient glissé dans les décorations des trompes l'oeil saisissant d'efficacité. Un ingénieux système de rouages, permettait de les déplacer sans effort. La décoration de cette pièce était des plus aérées. On y travaillait seulement car c'est là que siégeait le conseil de la meute depuis des décennies.

La partie centrale était réservé aux réjouissances et diverses veilles. Naissance, mort, agrandissement du territoire, chasse exceptionnelle, butin de guerre et autres, de nombreuses tapisseries trônaient sur les murs. L'histoire de la meute pour qui savait déchiffrer ces oeuvres. Des tables rondes, modeste à première vue étaient soigneusement rangées sur le côté gauche et recouvertes d'étoffes. Elles cachaient en fait un véritable trésor d'orfèvre. Plusieurs bois furent nécessaires à la construction de ces tables dont chacune avait une fonction bien définie. Des fauteuils, causeuses et bergères rivalisaient de confort et de style. Répartie d'une certaine manière, elles offraient repos, alcôves, simples assises, répondant à chaque désir d'un lycan. Une estrade en pierre blanche pouvait accueillir troubadours, orateurs, loups du savoir. L'acoustique de cette partie était exceptionnelle et mieux valait regarder à deux fois où l'on se trouvait. L'un des murs avait été surnommé, le coin des murmures. En effet, un lycan se tenant tout prêt de cette paroi pouvait se faire entendre à l'autre bout de la pièce et ce même s'il chuchotait. Bien des anecdotes à ce propos faisaient encore rire la meute.

- OU L'ON PASSE AUX CHOSES SERIEUSES -

Elle prit place dans un fauteuil de velours rouge sombre orné de galons et de brocard aux franges or et argent. Elle s'y installa avec une expression satisfaite, laissant une table immense les séparer de plus d'un mètre, comme une limite de courtoisie. Devant elle, une vaisselle de porcelaine délicate, ouvragée de dessins raffinés. Des chandeliers finement ciselés éclairaient l'endroit d'une lumière chaude et tamisée. Des plats fermés les attendaient, Sylviana ne savait pas si le Chef de Nord-Bois s'était sustenté avant de venir aussi, des ordres avaient été donné en cuisine. On s'était affairé alors que le lycan se trouvait en chemin, tant et si bien que tout était fin prêt lorsqu'ils quittèrent la Grande Porte pour rejoindre la Grande Salle.

"Prenez place, je vous prie."

Un fauteuil moins cossu, n'attendait que lui. Un geste de la louve et l'on vint ouvrir les plats, les présenter au Chef des Nord-Bois. Des rinces-doigts en métal précieux était disposés à la droite de leurs couverts. Sylviana se fichait de tout cela comme de sa première chute. Pourtant elle ne montrait rien, faisant même preuve d'une aisance surprenante. Son ventre était plein mais elle ne refusa pas un verre d'eau limpide et pure. Enfin pour les papilles d'un lycan bien évidemment.

- UN COMPORTEMENT INDIGNE -

Sylviana le regardait, attentive à son comportement. Quel effet la salle avait-elle eu sur lui ? Aucune possibilité de le savoir. Il fallait gratter ce masque badin mais elle n'en avait guère l'envie. Au contraire, cela la lassait déjà. Les lycans avaient si mal tourné Grinak, combien resteraient encore debout à ton retour ? Elle revint à la réalité. Cet endroit lui plaisait mais surtout quand sa famille s'y trouvait. Il fallait voir les louveteaux glisser sur les sol lisse et brillant. De franches rigolades résonnaient alors dans tout le palais. Des moments rares mais si intenses. Un fin sourire étirait ses lèvres alors que l'expression de son visage était extatique, la louve était ailleurs, momentanément. Penser aux siens mais aussi à Grinak suffisait à l'arracher à la triste monotonie de certaines situations. Sylviana ne s'en privait pas. Perdue dans ses pensées, elle sentit l'insistance du regard de Maldrik sur elle, ses iris donnèrent l'impression de reprendre vie. Apparemment, il n'avait pas faim aussi la table serait-elle rapidement desservie. On ne tarderait pas à leur amener des parchemins et des plumes. Enfin, pas tout de suite, non.

Aucun muscle de la louve ne bougea lorsque le lycan eut l'affront de décliner son offre et de venir s'asseoir trop près. Pourtant il venait de commettre un lourd impair. Des silhouettes, confondues tantôt avec les lourdes tentures, se murent. Bien que restant à une distance respectueuse, cinq loups fixaient le chef de meute de Nord-Bois. Les babines étaient retroussées, les poils hérissés. Non, son comportement n'était pas digne de son rang. Sylviana ne fit aucun geste, ni commentaire aux mouvements des siens. Ils agissaient comme tout membre qui se respecte. Un seul ordre et Maldrik serait déchiqueté et ses restes éparpillés aux quatre coins de Thaodia. Pourtant rien ne se passa mais les loups ne reculèrent point. La hiérarchie parmi les Sang-Chaud était précieuse. Manquer de respect à l'autorité absolue révélait un désir inconscient de mourir prestement. Nombre de loups accèderaient volontiers à une telle requête.

Sylviana ne recula pas alors que le faciès de son invité s'érigea à quelques centimètres du sien. Ses yeux n'exprimaient rien, son visage non plus. Elle l'écouta et certains mots la firent rire intérieurement. Le nourrir, nobles loups. Moins sage, lui plaire. Il se prétendait chef de meute, la louve se demandait bien quelle meute pouvait se targuer de le considérer comme un dominant. Elle laissa un blanc s'inviter à leur échange puis entrouvrit les lèvres.

" Veuillez prendre place Maldrik Frodeew. Vous deviez m'entretenir de propositions de la part de votre meute, je suis toute ouïe. Qu'il en soit ainsi, ou rentrez chez-vous."

Le ton était détaché, une lueur de lassitude voila ses iris jaunes. Elle conversait avec un louveteau qui s'ignorait vraisemblablement. A nouveau, elle reprit le chemin de ses pensées, attendant qu'il s'exécute d'une manière ou d'une autre. Des propositions ou un retour humiliant ? Pour sûr que son comportement ferait le tour de Thaodia et ce très rapidement. Tout dépendait maintenant de l'attitude qu'il allait adopter.

- ENTREVUE ENTERREE -

Sylviana leva les yeux et observa, un sourire moqueur étirant ses lèvres. Bien évidemment, les loups ne réagirent nullement au geste de Maldrik. Il n'était rien pour eux. La louve ne releva même pas, elle commençait à cerner le lycan. Alors qu'il partait, elle s'étira longuement en soupirant. Un louveteau et encore, les louveteaux de la meute étaient bien mieux élevés. Capricieux, trop sûr de lui, impatient, comment allait-il s'en sortir avec sa meute ? Ce n'était pas son problème, quoique. Une étrange lueur miroitait dans les iris de la louve. Ils se reverraient sûrement mais les conditions serrent bien différentes, ça oui. Sylviana se leva et donna quelques instructions. Les mets disparurent pour être redistribués aux membres. Les torches éteintes, la salle rangée, tout fut soigneusement remis en place. Les loups s'inclinèrent et se retirèrent alors que le loup efflanqué qui avait mené Maldrik jusqu'ici, pénétrait dans la salle après avoir vu le lycan quitter la meute. Sylviana appréciait sa vivacité d'esprit, sa discrétion, sa rapidité. Un as qu'elle avait rencontré en devenant Chef de Meute et dont elle appréciait grandement la compagnie bien qu'il ne soit peu bavard.

"Reconduis-le et assure toi d'effacer ses traces."

Aucune politesse dans ce geste, juste s'assurer qu'il ne remettrait pas les pattes ici, jamais. Le loup grogna pour signifier son accord et quitta la salle à son tour. La louve avait perdu un temps précieux. Une missive des plus officielles pour une entrevue avortée par un comportement indigne. Grinak, il était grand temps qu'il revienne. Les légers crissements particuliers du déplacement de Louxor la fit se retourner. Son frère la dardait de ses yeux bruns et or. Elle retira ses vêtements avec un soupir ravi et bientôt une louve noire vint se frotter contre lui.

" Alors ?"
" Irrécupérable, ça n'en vaut pas la peine d'en parler."

Louxor lui donna un coup de langue avant de disparaître dans le couloir, suivi de très près par Sylviana. Les Nord-Bois n'étaient pas prêt à échanger quoique ce soit avec les Sang-Chaud.

********************
HRP : Suite Ici