Il avait patienté, longuement. Il avait réfléchi, longuement. Adossé dos contre un arbre, seul. Apercevant de temps à autre des familles naines qui se dirigeaient vers la tour de défense pour trouver un refuge sur et loin du fléau des peaux vertes. Les petits hommes l'apercevaient à peine, plus préoccupés par leurs femmes et enfants blessés, par leurs maris abandonnés à la bataille. Le guérisseur s'en préoccupait à peine, lui aussi laissait son esprit voguait ailleurs, bien plus loin que cette bataille, bien plus loin qu'Angaïla, bien plus loin qu'Ephaelya elle même. Trop de questions qui ne trouvaient pas de réponses fusaient dans sa petite boîte crânienne, comme un millier d'esprit qui n'étaient là que pour le troubler, pour le blesser, pour le hanter.. Mais une des préoccupations surpassait toutes les autres et persisteraient jusqu'au bout, jusqu'à la fin de ce combat, jusqu'à la fin de sa vie même... Pourquoi était-il là ? Cette guerre était-elle vraiment la sienne ? Cette cause valait-elle vraiment qu'il mette sa vie en danger ? Les gobelins qui domineraient Ephaelya tout entière ? Il n'y croyait pas. Ces petits êtres abjectes et sans une once d'intelligence, comment pourrait-il marcher sur cette terre ? Tout ça lui paraissait une entreprise impossible, mais après tout, jusqu'à maintenant ils étaient allés beaucoup plus loin que prévu. Plongé dans ces réflexions malsaines, il n'avait pas entendu les bruits de pas familiers, ces griffes qui frottent le sol, ces pattes lourdes et porteuses de muscles qui martèlent le sol à un rythme régulier, ce son augmenté par le nombre. Ils étaient proches et quelques instants plus tard, ils étaient là, impressionnants, tous vêtus de leur robe de fourrure, une impressionnante masse de ses congénères, prête à marcher sur ce monde et à détruire quiconque voudrait détruire l'équilibre Ephaelien, peu importe le prix à payer.

Et au devant de cette armée il reconnut Sheiz, le seul loup dans le regard duquel il reconnaissait l'humain. Et c'est seulement à cette vue là que ces idées s'éclaircirent enfin. Il se battrait, il les tuerait tous, jusqu'au dernier. Pour son frère, pour son second, pour sa meute et pour son monde. Pour cet ensemble de choses qui constituaient sa vie, son univers, il ferait couler le sang jusqu'à combler la soif de la terre et celle des hommes. Aucun mot n'avait encore était prononcé et il n'y en aurait pas. Sans pudeur, Tär se déshabilla avant d'enfiler son paquetage sur son dos et de se transformer à son tour. La marche reprit, le bruit familier des pas avançant dans le même sens, dans la même direction, pour une même destination. Comme les gouttes de pluie qui s'abattent sur un carreau, un bruit inlassable, soporifique, qui t'emporte et t'amène autre part, qui ouvre les portes pour que l'esprit s'évade. Puis la douce mélodie s'arrêta, les loups redevenaient des hommes, le guérisseur suivit le mouvement et ne prit même pas la peine de se rhabiller. Il se plaça aux côtés du second, écoutant attentivement tout ce qu'il avait à dire. Les premiers mots qui sortirent de sa bouche mirent un certain temps à venir, Sheiz regardait vers la bataille, l'air pensif et la mine grave. Personne ne parlait, personne n'osait troubler ce silence. Enfin, jusqu'à ce que Dunkan ose interpeller Sheiz.

Et enfin, l'immobilité se rompit, la bataille était proche, dans un vacarme assourdissant et oppressant, on s'équipait, on se protégeait pour perdre le moins de sang possible, pour continuer à vivre, pour pouvoir un jour revoir ses proches... Tär ne fit rien, il aimait le contact du soleil avec sa peau, cette effet de chaleur sur sur son corps nu, ce réchauffement qui détend, même s'il faisait lourd et étouffant, le lycan se dit que le temps était parfait pour faire la guerre. Qu'il neige, qu'il pleuve, qu'il grêle ou qu'il vente, son combat était le même de toute façon. L'armée était prête, métallique, caparaçonné des pieds à la tête, prête au combat. Alors qu'il contemplait la vaste étendue sur laquelle se déroulait l'affrontement, il fut saisi d'effroi. Instantanément, sans raison, il était effrayé et alarmé par ce conflit, tout ce en quoi il croyait jusque là était en train de voler en éclats à jamais. Son visage était prit de folie, plus jamais il ne serait le même... On dévastait sans égard sa mère la Terre à qui il était trop attaché pour laisser ça continuer. La soif de sang commençait à lui monter à la tête. Il fallait que tout cela se stoppe et le plus vite possible, il fallait arrêter les dégâts maintenant, avant que les cicatrices qui souillaient la terre ne deviennent définitives et inguérissables.

" Reste à portée mon frère .. Je veux t'avoir à l'oeil ."

Si seulement il savait, si seulement il pouvait voir la frénésie qui commençait à envahir la tête de Tär. Sans s'en apercevoir il avait déjà perdu tout contrôle de lui même. Il était déjà plongé au coeur d'une bataille, un combat qui faisait rage à l'intérieur de lui, et la bête était sur le point de l'emporter. Que dis-je... Elle avait déjà gagné. Sheiz hurlait, prenant son rôle de chef à coeur, tentant par tout les moyens de transmettre toute sa rage à ses troupes mais le guérisseur ne l'écoutait plus, en fait il n'écoutait plus rien si ce n'est les battements de son palpitant qui s'excitaient. Le combat était proche, il n'arrivait plus à se contenir, il voulait faire parler ses crocs. Dans le même temps, il laissa place à son loup, ne s'encombrant pas de son sac et l'abandonnant ici, il se mêla au rang, ses pattes trépignaient d'impatience, lacérant le sol avec fougue. On forma les rangs, Tär suivait le mouvement, comme un bon élève, il s'inséra dans la troisième rangée. Puis enfin la troupe se mit en marche, tout le monde courrait le plus vite possible, créant un vrombissement à en crever les tympans. La guerre était lancée depuis un moment maintenant, mais les lycanthropes démarraient seulement.

Sa rage se libéra, tonitruante, comme une énergie nouvelle qu'il gardait, jusqu'à maintenant, enfermé au fond de lui. C'était un nouveau souffle qui donnait toute cette fougue nouvelle à son corps, qui propulsait ses pattes à une telle vitesse. Qui rendrait ses crocs plus pénétrants et qui agrandirait sa soif. La bête avait prit le pas sur l'humain, totalement, on ne voyait plus une seule once d'humanité dans le regard du loup. On y lisait seulement la soif de déchiqueter, de blesser, de broyer les gobelins sous sa mâchoire féroce. Mais Tär jouait un jeu dangereux et inconscient, il avait choisi la mort comme adversaire, il n'était équipé d'aucune protection et d'aucune autre arme que ses crocs, une flèche bien tirée lui serait fatale mais il suivait son instinct primaire, l'envie de chair fraîche, l'envie de sentir à nouveau du sang couler dans sa bouche, ce sang chaud et visqueux à peine extirper de la veine qui envahit le moindre espace disponible, réchauffant l'âme et le corps, bouillonnant. Et bientôt il assouvi ce besoin. Les deux troupes s'étaient rentrées dedans, dans un perçant bruit de tôle froisée, de métal contre métal. Le choc avait été brutal, propulsant des gobelins ça et là et ralentissant l'assaut des loups. Malgré tout, la supériorité des loups en nombre était un paramètre non négligeable dans la bataille, ce n'était qu'une question de temps avant de remporter cette maigre bataille. Tär faisait claquer ses crocs au hasard, espérant par chance les planter dans quelques trachées gobelines. Il arracha des têtes, il démembra des corps, détachant jambes et bras du tronc. Sa démence était à son maximum, c'était devenu une machine à tuer, il ne sentait même plus les flèches qui s'étaient enfoncées dans son flanc, à vrai dire, il ne les avait même pas remarquées.

Malgré la confusion de l'assaut, Tär discerna tout de même l'arrivée des nains dans la mêlée. Même s'il n'en n'avait pas conscience, cela représentait un soutien très important. Ne serait-ce que pour le moral des troupes adverses. Mais le lycan ne s'arrêta pas sur ce détail, il était emporté pas l'ivresse du sang, l'odeur de ce dernier accentuait par les rayons farouches du soleil qui propageaient les odeurs avec force. A tel point que le guérisseur n'aperçut même pas une seconde le géant qui s'écroula sur le sol. Puis, un grand fracas se fit entendre, audible mes invisibles, on entendait le son augmenter, créant un instant de mou dans la bataille, l'espace d'une seconde le temps s'arrêta. Les armes s’arrêtèrent en plein mouvement, les cris de guerre se turent et les pas s'immobilisèrent. Puis quelqu'un cria :

"Des trolls !!"

Et enfin, ils apparurent, armés jusqu'aux dents d'armes plus farfelues les unes que les autres : Planche cloutée, Masse constituée de branches d'arbres, sabres émoussées, etc.. Tär se passa la langue sur les crocs avant de charger en direction des trolls avec le reste de la meute. La collision était proche, Le loup grogna, il était prêt à goûter à cette nouvelle viande surement avariée, prêt à les déchiqueter comme il l'avait fait avec les gobelins. Et enfin, ils étaient à portée, le guérisseur bondit arracha avec la moitié du cou d'un des monstres qu'il réussit à atteindre. Puis il s'agrippa au bras d'un deuxième, qui, d'un mouvement rapide et puissant l'envoya valser cinq mètres plus loin. Se brisant quelques côtes en atterrissant trop rapidement sur un rocher, il décida de ne pas en rester là, le lycan se releva et repartit à l'assaut, bien décidé à décimer de cette chose. Foudroyant, il disloqua deux de ces derniers avant de se retrouver face à face avec un mélange de géant et de troll plus imposant que les autres. Il aperçut en soutien deux autres lycanthropes, dont un derrière lequel il se réfugia pour esquiver l'énorme massue qui s'écrasa pile là où il se trouvait quelques secondes auparavant. D'autres de ces innommables créatures venaient en aide à leur compagnon. Malgré sa détermination, il fallut qu'il se résigne. Ils étaient perdus. Tär avait renoncé à tout espoir quand il vit une nuée de flèches s'abattre sur les trolls ainsi qu'une flèche qui alla se loger au travers de l'une de ses pattes. Il n'y fit pas attention et se releva du mieux qu'il put pour repartir au combat. A l'aide de ses crocs et le plus rapidement possible, il casse les deux extrémités de la flèche enfoncée dans sa patte, par chance, aucun os n'avait était brisé, ça ne faisait pas plus mal qu'une petite égratignure. Ayant relâché son attention quelques secondes, il évita de justesse une masse qui effleura l'une de ses deux oreilles. Il se tourna vers son adversaire. De taille normal et pas plus large que les autres : une proie facile. Tär bondit, croyant en finir au plus vite, mais la bête qui lui faisait face était beaucoup plus agile que prévu, elle l'esquiva sans aucun effort.

Surpris, le lycan manqua de se fracasser contre une souche d'arbre mort. Faisant de nouveau face à son adversaire il le regarda avec un peu plus d'attention. Plus peinturluré que les autres, arborant beaucoup plus de babioles que les autres et masqué. Probablement un "gradé" de l'armée troll. Le guérisseur chargea de nouveau, aveuglément et comme une brute, sans une touche de réflexion, il visa la gorge. Le troll ne fit qu'une léger pas de côté avant de l'empoigner au cou. Ses bras étaient musclés et Tär ne tarderait pas à mourir étouffer, il agitait vainement les pattes. Sans succès. Mais où étaient ces confrères ? N'étaient ils pas tous sur le même champ de bataille ? Allaient-ils mourir ici ? Au milieu de toute cette lutte ? A croire que c'était la seule issue..