FUIR A VOS DEPENS

Les bois étaient sombres et terrifiants. Jour ou nuit ? Seule une boule blanche dans le ciel permettait de faire la différence. La lune était d’une couleur éblouissante ce soir là et sa lumière éclatante baignait la forêt des murmures. Seulement, les arbres étant si épais et si gigantesques que les rayons de la lune ne rassuraient en rien. Les silhouettes des arbres se détachaient du fond blanc dans des formes effroyables. Un petit gémissement se fit entendre alors qu’une forme s’abattait au sol entre deux végétaux non-identifiés. Un souffle, puis un râle. La chose se releva et une silhouette féline prit la place de cette chose qui semblait au début si effrayante. Une jeune femme venait de trébucher sur deux grosses racines et donna un coup de pied dedans en râlant. Elle arrangea son arc dans son dos et reprit sa marche. De longs cheveux blonds descendaient en cascade le long de sa colonne vertébrale et de petites oreilles pointues en sortaient avec grâce. L’elfe esquivait les branches qui semblaient l’assaillir de toutes parts, se baissant, sautant par-dessus des rochers et escaladant des arbustes solides.

En effet, Elenwë se trouvait maintenant en Màvreah, pays des vampires. Rien que d’y penser, un frisson parcouru son échine. Son ancien fiancé était lui-même une de ses créatures mais comparé aux autres de sa race, il ne ferait pas de mal à une mouche. Un léger sourire s’afficha sur ses lèvres. Si elle était dans cette contrée, c’est qu’elle n’avait pas le choix. Depuis un an déjà, Elen était à la recherche de sa mère, qui avait disparue dans son enfance, le soir d’un terrible incident. A la recherche de celle-ci, elle arpentait les régions pour trouver de quelconques indices valables. Une nuit, la jeune elfe avait appris que certains brigands faisaient passer leurs victimes pour mortes mais les kidnappaient. Sans attendre, elle s’était jetée sur leur trace et la voilà maintenant, perdue dans la forêt des murmures. Elenwë soupira. Droite ? Gauche ? Tout se ressemblait.

Alors qu’elle marchait, cherchant toujours une route potable, elle entendit des bruits de pas non loin d’elle. A quelques mètres devant ou derrière, elle était incapable de dire d’où les sons provenaient. Elen grogna et leva les yeux au ciel. Décidément, la malchance la poursuivait en ce moment. Elle s’accroupit entre deux buissons, sa dague à la main, prête à sauter sur le premier bandit qui croiserait son chemin…

Une fine couche de brume flottait à quelques centimètres du sol et camouflait légèrement Elenwë qui en était reconnaissante. La tension se faisait sentir et l’atmosphère commençait à se faire de plus en plus lourde. Pendant un instant, la jeune elfe se demanda si elle n’avait pas rêvé les bruits autour d’elle mais mieux valait-il être prudent. Et elle avait bien raison car les bruits retentirent encore. Une respiration saccadée et des pas au rythme d’une course qui ralentissait, puis une longue respiration. Décidément, la personne qui semblait avoir le diable à ses trousses n’était pas des plus discrètes. Alors que les branches qui pendaient au dessus d’Elenwë paraissaient vouloir l’attraper, elle ne bougeait pas, immobile. Elle ne savait toujours pas d’où venaient les sons étranges. Malheureusement pour elle, ils se mirent à diminuer d’intensité. Un courant d’air glacé parcouru son dos d’un air malsain.

Elenwë avait tous ses sens en éveil. Accroupie sur ses mollets d’acier, les muscles de son dos tendus et sa dague prête à trancher n’importe quelle gorge, elle était immobile, écoutant les bruits effrayants de ces bois différents de ceux de sa région. Des bourrasques de vent soulevaient ses longs cheveux blonds et seuls ses yeux couleur saphir brillants à la lumière de la lune étaient visibles. Telle une statue, elle attendait…

Malheureusement pour la personne qui était dans le coin, Elen avait l’ouïe très fine et pouvait reconnaître n’importe quel son. Les bruits de pas recommencèrent mais cette fois plus discrètement, les feuilles mortes ne craquant presque plus, mais presque ne suffisait pas pour qu’elle ne l’entende guère. Le glissement d’une lame dans un fourreau se fit à son tour entendre et l’elfe se raidit doucement. La personne était, en effet, mal intentionnée. L’homme, du moins vu sa façon de piétiner le sol, devait se croire discret et Elenwë rentra dans son jeu. Faisant semblant de ne rien voir venir, elle regardait à l’opposé, sentant l’homme dans son dos. D’un seul coup, l’homme bondit dans un rugissement presque bestial. Bravo pour la discrétion, il allait ameuter tous les bandits de la forêt !

Alors que l’homme se jetait dans son dos, Elen pivota sur elle-même, arrêtant la dague du méchant à quelques centimètres de sa gorge, le stoppant dans son élan. Elle posa d’abord un regard innocent et choqué sur lui puis un sourire magnifique pour le déconcentrer. Les hommes étaient si faciles à séduire. Celui-ci la regarda, sans bouger, peut-être sans comprendre ce qu’il se passait aussi. Mais en un rien de temps, elle envoya son pied dans le ventre de l’homme qui fut propulsé en arrière, sur son postérieur. La dague était restée dans sa main, elle la fit tomber au sol puis elle se redressa légèrement, les jambes toujours un peu pliée prête à bondir. Elle s’avança dans la lumière de la lune, sa silhouette se détachant du fond un peu trop morbide. Elen sourit une fois de plus en attendant que l’homme se relève. Elle lui assainit un grand coup de poing dans la mâchoire, puis se glissa d’une allure fluide dans son dos pour appuyer avec sa botte sur l’arrière de son genou. L’homme flancha mais elle recula pour le laisser réagir un peu. Pourquoi ne pas s’amuser ?...

Le vent se faisait du plus en plus glacial ainsi que le regard de la jeune elfe. Si c’était un de ces hommes qui avait enlevé sa mère, cela promettait. Il semblait vraiment…nul ? Elenwë rit discrètement, histoire de ne pas ridiculiser encore plus le pauvre homme. Après tout, il devait de se faire avoir par une femme. Malheureusement pour lui, Elen avait des années et des années d’entrainements… En 122 ans d’existence, elle en avait appris assez pour se battre comme une guerrière digne d’entrer dans une armée. Son épée à sa hanche, ses dagues à sa ceinture et son arc dans son dos, elle regarda le bandit de haut, son armure en cuir moulant son corps parfait.

L’homme venait de tourner sur lui-même et lui faisait face. Dans la lumière de la lune, les yeux de l’homme brillaient de quelques larmes certainement dû aux coups et de sa bouche coulait un mince filet de sang. Il se mit en posture de défense, ses coudes devant son corps et ses poings devant son visage. Il fit presque peine à Elenwë qui chassa vite cette pensée de sa tête. C’était certainement un des meurtriers de sa mère. Ses yeux étaient remplis de haine et d’un soupçon de peur malgré le courage qu’il avait. Mais il n’était pas si bête que cela, son pied tapa le sol et envoya un nuage de poussière vers les yeux de la jeune elfe alors qu’un bâton volait lui aussi dans sa direction.

Elen toussota doucement mais en profita pour s’éclipser discrètement. Pas si malin que cela l’humain en fin de compte. Alors que la poussière retombait au sol, l’homme regarde bêtement devant lui, bouchée bée. L’elfe était déjà dans son dos, cachée dans l’ombre. Elle se faufila dans le noir jusqu’à lui, sans bruit et glissa sa dague sur sa gorge, son corps collé à son dos. Un murmure se fit entendre.

« Vous bougez, vous mourrez... »

Le silence avait pris place et l’atmosphère semblait bizarrement se détendre. Elenwë sentait le corps chaud de l’homme contre le sien et le contact ne pouvait-être qu’agréable alors que le froid se faisait de plus en plus glacial. Le poids du jeune homme ce fit soudain plus pesant ce qui ne dérangea pas beaucoup l’elfe mais qui le remarqua. Le silence se faisait de plus en plus long et la jeune elfe se demandait ce qu’allait répliquer le brigand. Puis la voix rauque se fit entendre alors que la fatigue se ressentait encore. Ce ne fut qu’un murmure de provocation qui atteignit les oreilles pointues.

- Je sais que vous avez pour mission de m'éliminer. Faites vite, je n'ai pas que ça à faire d'attendre que vous jouiez avec moi tel un mannequin d'entraînement... Vous avouerez tout de même que je vous ai bien baladés pendant quelques mois, vous et vos sbires...

L’homme bascula sa tête en arrière, la posant sur l’épaule de la guerrière. Il ne fit aucun mouvement brusque et offrait sa gorge à la lame parfaitement aiguisée que tenait Elen dans sa main droite. Elle ne bougeait plus et ne savait que faire. Elle s’était attendue à un combat acharné, à un combat à mort pour venger ou récupérer sa mère disparue. Mais l’homme soupira alors que tous les muscles de son do semblaient se détendre et se décrisper au contact du corps de la jeune elfe contre lui. Il semblait fragile et innocent. Mais comment en être sur ? Elenwë grogna, une main sur sa hanche pour le faire tourner face à elle et le poussa au sol. Elle bondit au dessus de lui, accroupie, un pied de chaque côté de sa taille et replaça sa dague sur son cou. La poussière voletait autour d’eux et pourtant elle planta son regard dans celui du bandit.
L’homme était jeune, certainement plus qu’elle. Mais était-ce vraiment un bandit ? peut-être s’amusait-il à se faire passer pour une victime. Malheureusement, Elen n’était pas sans cœur et elle ne pouvait tuer un homme de sang froid. Son visage près du sien, elle fronça les sourcils et fit la moue avant de murmurer à nouveau.

" Je ne suis pas envoyé pour éliminer qui que ce soit, je viens venger ma mère et s’il le faut je vous tuerai. Vous et vos frères d’armes. Vous n’êtes que des brigands qui ne cessaient de terroriser des villages entiers. Quel est le sentiment qui peut vous faire agir de la sorte ? Piller, kidnapper et tuer. Êtes-vous des hommes au cœur de pierre ? "

La jeune elfe le regardait de haut, ses yeux s’embrumèrent et une larme roula sur sa joue. Il ne pouvait pas être un homme qui avait tué sa mère. Il semblait si jeune et pourtant déjà prêt à mourir, à ne pas aller contre ce que son destin lui réservait. Elenwë dit dans un souffle à peine audible :

" Mais qui êtes-vous ? "

Le temps ne s’améliorait pas autour du couple de combattant. De la brume puis une légère pluie fine prirent place dans ce somptueux et terrifiant paysage. Les yeux verts de l’humain scrutaient l’elfe avec attention, leurs regards plongeaient l’un dans l’autre. Au fur et à mesure du discours d’Elenwë, un sentiment de surprise se dessinait sur le visage du jeune homme. En effet, il ne devait pas être un bandit… Dans la tête de l’elfe, ses esprits se perdaient, ses idées s’embrumaient. Mais ? S’il n’était pas un des kidnappeurs ou assassins de sa mère, sa quête s’arrêterait-elle un jour ? Le beau brun prit enfin la parole dans un sourire charmeur, alors qu’elle avait presque fini par l’ignorer.

- Je suis Zykurah Oda... Vous savez, il y a beaucoup mieux à faire dans cette position que de m'écraser le torse et me coller cette dague au cou.

Elenwë haussa un sourcil face à ce ton provocateur et à cette remarque légèrement déplacée, surtout vu la tension qui régnait. Après tout, elle voulait le tuer jusqu’à il y a quelques minutes, et lui s’amusait à faire le mariol. Elle le regarda de haut sans toute fois lui répondre. Il continua donc sur sa lancée, l’air toujours aussi fier de lui et de ses bêtises.

- Bon, visiblement nous ne sommes pas ennemis. Je fuis sûrement ces mêmes brigands qui semblent avoir ôté la vie à votre bien aimée 'maman'. Maintenant, si vous pouviez dégager votre corps du mien... C’est pas que je ne vous trouve pas jolie, mais ça va un peu trop vite entre nous...

Elen ouvrit des yeux ronds sa « maman » ! Elle n’aimait pas du tout le ton qu’il avait employé pour dire cela mais sa façon d’agir laisser la jeune elfe perplexe. Elle ne savait pas comment réagir face à ce genre de personnes. Le fameux Zykurah semblait fier de lui, souriant toujours comment un benêt. Toujours au dessus de lui, elle laissa son poids peser un peu plus sur lui alors qu’elle se trouvait complètement décontenancée. Comment pouvait-il avoir un sourire aussi charmant alors qu’elle avait essayé de lui ôter la vie. Encore perdue dans ses pensées, Zyk parla, une lueur amusée brillant dans son regard.

- On bouge et on cause ou vous comptez dormir avec moi, comme ça? Les histoires sauvages, remarquez, dans ce lieu lugubre, ça peut peut-être valoir le coup...

Les réflexions de l’homme commençaient à amuser Elenwë, un sourire en coin se formant sur son visage. Zykurah, lui, se mit à rire de bon cœur, les larmes commençant à couler sur ses joues. L’elfe se mit à rire aussi mais d’un son plus mélodieux. Voir l’homme mourir de rire alors qu’ils s’étaient pris pour des ennemis la faisait rire aussi. Elle sentait le corps de Zyk vibrait sous ses rires. La situation avait changé du tout au tout. Le beau brun se massa doucement la mâchoire en ronchonnant ce qui fit plus rire Elen. Elle passa à son tour sa main sur sa mâchoire en pouffant doucement.

" Excusez-moi… Je sais être tendre, vous savez… Même si je préfère les lits aux lieux aussi… sombres et effrayants que cette forêt. "

Un sourire charmeur se figea à son tour sur son visage. Elle se redressa doucement, offrant certainement une jolie vue à l’homme, puis elle lui tendit sa main pour l’aider à se relever qu’il prit fermement. Elenwë le hissa debout, leurs corps se rapprochant puis sourit à nouveau. Elle attrapa son menton du bout des doigts et se rapprocha doucement pour… tourner sa tête et observer l’endroit où elle l’avait frappé. Elle rit encore un peu.

" Vous aurez un beau bleu. Je ne pensais pas être si forte tiens… "

L’elfe se pencha pour ramasser sa dague et la remis dans son fourreau accroché à sa ceinture. Elle tourna le dos à l’homme et avança de sa démarche souple et élégante. A vrai dire, elle ne savait pas où elle allait mais ce qui était sur… C’est qu’elle y allait ! Elen pivota le haut de son corps vers Zyk, qui était resté derrière.

" Vous venez ? "