Crépuscule au lac de l'Aube [Terminé]

Un centaure sans tribu est toujours plus vulnérable aux attaques de prédateurs et Dertar ne faisait pas exception. Ce n’est pas pour rien que leur espérance de vie en est si diminuée lorsqu’ils se retrouvent seuls, eux qui n’ont déjà pas beaucoup d’années à espérer comparés aux autres races d’Ephaëlya. Cet après-midi là, Dertar avait fait la rencontre de quatre loups des ténèbres particulièrement affamés qui l’avaient pris en embuscade dans les fourrages de la forêt du crépuscule. Cette nature hostile n’avait rien à voir avec la nature paisible que Dertar avait connu tout au long de son enfance. Avant qu’il ait eu le temps de décamper, l’un des prédateurs avait réussi à lui attraper un tendon avant avec toute la puissance de sa mâchoire. Le centaure s’était servi de sa dague pour se libérer de cette douloureuse étreinte, alors que les autres assaillants s’élançaient. Après avoir violemment rué l’un d’eux, Dertar courut comme jamais, malgré sa patte blessée, déchirant ce qui lui restait de ligaments pour sauver sa peau. Il galopa ainsi pendant près de quinze minutes, poussant la douleur aux limites les plus élevées, jusqu’à ce qu’il atteigne un lac magnifique et immense, où l’eau reflétait le paysage avec une fidélité quasi parfaite dû à l’absence de vagues. Le soleil n'avait pas encore atteint l'horizon. Il restait une heure ou deux avant qu'il disperse ses rayons rougeoyants pour ensuite se cacher derrière les montagnes, mais déjà la forêt s'assombrissait sous la canopée. Sans attendre, Dertar déposa la patte meurtrie dans l’eau claire, en serrant les dents de douleur, et le sang la brouilla un instant avant de se dissiper, dernier témoin des fluides de l’un de ses nombreux malheur. Après l’avoir rincé, il retira sa patte et s’écroula sur une grande roche au bord de l’eau. Légèrement penché sur le côté, mais sans se coucher complètement, afin d’éviter d’écraser ses organes vitaux sous son poids, puisqu’il comptait rester là un bon moment. Il sortit de sa bourse une longue bandelette et s’adonna donc à se confectionner un bandage. Il devait tout de même pouvoir se remettre rapidement sur pattes au cas où les loups se soient risqués à suivre les traces du sang de leur proie hors de leur territoire.

Les battements de cœur du centaure reprirent leur rythme régulier dès que le bandage fut terminé. Il put alors réellement contempler le paysage qui l’entourait et en fut presqu’hypnotisé tellement il n’avait rien vu de semblable au cours de son long voyage. Ce genre d’aventure lui permettait d’oublier tous ses maux de l’âme au moins pendant que son instinct de survie contrôlait son corps et le paysage se comparait mal à ceux visités par la tribu des pacifistes quand il en faisait encore partie. Un animal blessé ne doit pas montrer sa faiblesse s’il veut éviter d’attirer l’attention d’autres prédateurs et il se débrouillait assez bien pour ne pas gémir malgré la souffrance aigüe qui se prolongeait sans répits. Dertar ressentait le sang battre contre son tendon de la patte droite, tambourinant cette apaisante douleur qui l’empêchait de réfléchir. L’ouïe à l’affût, il guettait chaque bruissement à proximité, sachant que sa vie en dépendait, mais incapable de trouver le courage de se relever. C’est alors qu’un bruit particulier attira l’attention du centaure qui pria Sên que ce ne soit pas ses attaquants qui l’avaient retrouvé.

Le lac de l'Aube était, comme à son habitude, d'une beauté irréelle. Sa surface lisse brillait de mille feux sous les rayons qu'y dardait le soleil. Il faisait bon aujourd'hui, malgré la saison. L'astre d'or avait fait sortir de leur nid des plumages resplendissants dont les chants résonnaient à travers toute la vallée. Un vent doux faisait onduler les hautes herbes grasses de la plaines et venait siffler entre les branches touffues de la forêt. Le lieu était d'un calme... Quelques animaux apparaissaient parfois aux abords des bois ou se risquaient même jusqu'au lac afin de s'abreuver. mais à part cela, rien ne bougeait. Le lac, paisible, était suffisamment à l'abris du vent, de par ses berges, que pour ne pas souffrir de ses ondulations.
Tout était calme... jusqu'à ce qu'une grande gerbe d'eau éclate à sa surface. Un corps, elfique en l’occurrence, en sortit. Lolia prit une grande bouffée d'air tout en retombant légèrement de l'élan qu'elle avait pris. Un immense sourire barrait son visage trempé. décidément, ce lac restait une merveille qu'elle ne pouvait s'empêcher de venir admirer de temps à autre. La dernière fois qu'elle était venue, elle n'avait pas eu le bonheur de pouvoir se plonger en son sein. La période du grand blizzard, avait laissé de nombreuses séquelles en Ephaëlya. Mais avait néanmoins bien vite relâché le lac de son étreinte gelée. La jeune elfe se souvenait de son dernier passage ; déçu, elle n'avait pu que constater l'emprise du froid et de la glace, la nature morte et froide qui l'environnait et son étrange rencontre avec Jerc, gravement blessé à l'époque. Elle se demandait d'ailleurs ce qu'il était devenu. Ce jour là, ou plutôt le lendemain, elle était parti sans dire au revoir, avant même qu'il ne se réveille. Et la seconde fois qu'il s'était vu, c'était lui qui était parti dans la nuit sans même un mot. Mais tout ça n'était que questions futiles, elle ne pouvait y donner suite.

Lolia nagea jusqu'à la rive, côté forêt, et sortit de l'eau. Le vent, même léger, la fit frissonner un instant. sa peau elfique n'avait pas pour habitude de ressentir le froid mais ces derniers temps, on aurait dit qu'elle devenait plus sensible à ce genre de chose. Peut-être était-il temps de retourner voir les félinaës, après tout, ils l'avaient déjà sauvé lorsqu'elle était nourrisson.
La jeune elfe attrapa sa tunique et l'enfila mais elle resta pied nus, profitant de la chaleur du soleil pour sécher ses longues jambes. Elle s'assit dans l'herbe à l'orée de la forêt et ferma les yeux.
Un long moment passa ainsi avant qu'un étrange bruit de cavalcade se fasse entendre. Le galop se rapprocha et s'arrêta au bord du lac. Lolia ne pouvait voir le protagoniste de cette course à cause des arbres qui l'en séparait, mais elle pouvait en entendre les gestes. Elle attendit un moment, ne souhaitant pas faire de mauvaise rencontre. Entendant que l'inconnu(e) ne bougeait plus, elle se risqua à passer la tête en se rapprochant du lac. C'est là qu'elle aperçut un centaure, le premier qu'elle eut jamais rencontré. Enfin non, elle avait croisé une centaure un jour à la vallée des cascades mais celle-ci l'avait prise pour une menace et avait fuis avant même que Lolia ai eu le temps de se justifier.
Le problème n'était pas de savoir si c'était bel et bien le premier centaure que Lolia voyait, le problème était que ce centaure semblait vraiment mal en point. Du sang coulait, au compte-goutte peut-être mais coulait néanmoins, d'une de ses pattes. Lolia enfila rapidement ses hautes bottes, attrapa sa sacoche et ses armes et se précipita vers le blessé en contournant le lac.
Quand elle arriva à sa hauteur, il s'était appuyé contre un grand rocher plat mais semblait toujours aussi mal en point. La jeune elfe approcha doucement pour ne pas l'effrayé. Ce ne fut pas une réussite, à peine à porté d'ouïe, le centaure se retourna vivement sur elle, une lueur inquiète dans le regard. Il est vrai qu'avec son épée pendant contre son flanc et son arc sur le dos, ses cheveux trempées plaqués conter son visage, elle pouvait paraître plutôt agressive. Elle s'empressa donc de clarifier les choses :

- Bonjour, je me nomme Lolia. Avez-vous besoin d'aide ?

[HRP : Extrait du bestiaire : Le Félinaë est une félin par nature doux qui passe la plupart de son temps à jouer dans les hautes herbes et à courir dans les prairies avec ses compagnons. Il se déplace le plus souvent en groupe, protégeant ainsi les petits et es plus faibles. On dit des Félinaë que leur ronronnement apaiserait l’âme des enfants malades et adoucirait le cœur des adultes. Ils adorent les caresses et peuvent devenir de bons protecteurs si l’on sait les amadouer.
Le père de Lolia à utiliser leurs ronronnements pour la sauver lorsqu'elle était bébé car elle était mourrante]

Toute la beauté du paysage s’évanouit dans un élan d’inquiétude, alors que le bruit s’était avéré être le résultat de l’approche d’un être vivant droit vers le centaure. Dertar qui était couché perpendiculairement à la rive du lac, avait vivement retourné sa partie humanoïde vers la nouvelle venue. Son cœur s’était arrêté de fonctionner, le temps que ses yeux envoient l’image de l’elfe à son cerveau qui lui analysa l’identité générale de cette dernière. En même temps, il eut un tressaillement trahissant son hésitation entre se relever et fuir au grand galop ou rester, parce qu’il était trop tard ou que l’énergie manquait pour l’option de s’échapper. Malgré son choix évident – il était resté couché – sa main droite resta en suspend sur le manche de sa dague suite à un réflexe qui lui avait sauvé la vie plus d’une fois, bien que ses sabots étaient beaucoup plus puissants que sa lame. La dame ne semblait ni se jeter sur lui telle une bête sauvage, ni en fuir une et donc son analyse du danger repassa d’«alerte» à «aux aguets».

L’étrangère qui se tenait non loin devant le centaure revêtait une tunique qui soulignait sa délicatesse digne d’une descendante elfique et elle avait le teint pâle, comme les vampires, mais une blancheur qui reflétait plutôt la vitalité. Dertar n’aurait jamais deviné qu’elle avait des aïeux lycanthropes. Lorsqu’elle s’adressa à lui, il reconnut la même voix mélodieuse qui autrefois le faisait rêver et qui à présent l’incitait à se méfier davantage. Elle était toutefois un peu plus grande que celle qui avait déraciné son cœur environ sept ans auparavant. Il n’avait pas besoin de distinguer ses oreilles pointues se frayant un chemin entre ses cheveux clairs pour savoir qu’il s’agissait d’une elfe. Pourquoi Sên s’acharnait-elle à le tourmenter? Elle venait de se présenter et Dertar avait déjà oublié son prénom. Ce n’était pas par désintérêt s’il avait porté si peu d’attention à ses paroles, mais il était si vigilent aux moindres gestes de l’elfe qu’il n’avait retenu que la consonance en «A» de son nom. Il retenait également qu’il n’avait jamais entendu un nom elfique si court, malgré les nombreux inconnus avec qui il avait fait vaguement connaissance sur son interminable route.

Dertar ne voulut pas exposer sa faiblesse devant une prédatrice du cœur, mais elle l’avait peut-être vu réaliser son bandage et déjà, ce dernier commençait à s’imbiber et se colorer d’un rouge foncé. Maintenant l’effet de surprise consumé, la douleur faisait des siennes, se délectant de son immobilité et du sang qui battait de nouveau dans son tendon. Non, il était un peu trop tard pour tenter de dissimuler sa faiblesse, surtout qu’un centaure couché n’est déjà pas de très bon augure – ces derniers dormant généralement debout. Pourtant, il était récalcitrant à l’idée de s’ouvrir à cette nouvelle arrivante, puisqu’elle était seule, tout comme lui, et qu’elle devait nécessairement avoir fait quelque chose de mal pour mériter une telle solitude…

Ainsi, Dertar mit quelques secondes, qui auraient pu paraître des minutes du point de vue d’un observateur, avant de répondre à l’aide proposée par la femme d’une jeune apparence. Qui aurait pu savoir tout ce qui s’était passé dans son esprit pendant ce court laps de temps? Fixant son regard dans les yeux de l’elfe, comme s’il cherchait à rattraper tous les reflets qui s’en échappaient, il répondit enfin, de sa voix grave et lente :

-C’est que… En fait… Vous devez savoir qu’une meute de loups est possiblement en approche. Si vous ne voulez pas risquer votre vie…

Il laissa sa phrase s’éteindre au bout de son souffle. Son visage inexpressif et d’apparence hautaine aurait pu faire croire qu’il ne voulait simplement pas prendre la peine de terminer d’exposer sa pensée, mais en réalité, il était à bout de souffle. De toute façon, la seule aide qu’elle aurait pu lui procurer aurait été de désinfecter la plaie béante à l’aide d’alcool, ce qu’il n’avait pas sur lui. En fait, il n’en avait plus depuis la veille alors qu’il avait noyé ses pensées sous les arbres de la forêt du crépuscule. Ce qui avait probablement diminué ses réflexes du lendemain. La vérité était qu’il craignait que Lolia s’approche davantage, ce qu’elle serait forcée de faire si elle venait à l’aider. Il ne s’était pas présenté non plus, dévoilant involontairement qu’il était peu accoutumé à la compagnie des autres. Sa crainte s’était légèrement dissipée, mais sa main droite se tenait prête à toute éventualité, à quelques centimètres de la dague accrochée à sa taille humaine.

Le centaure avait mis un long instant à répondre. Mais la jeune elfe ne s'en formalisa pas. Elle imaginait parfaitement l'impression qu'elle avait du lui donner sans compter la méfiance qu'elle ressentait dans son regard. D'ailleurs, l'explication vint d'elle-même :

- C’est que… En fait… Vous devez savoir qu’une meute de loups est possiblement en approche. Si vous ne voulez pas risquer votre vie…

Le visage de Lolia changea subitement. Elle avait d'abord pensé à une meute de Thaodia. Mais alors il n'aurait pas choisi le terme de "loups", bien trop vulgaire et peu précis pour des lycanthropes. Non, il devait réellement s'agir de loups, de vrais loups, quoique, à nouveau, le terme "vrai" soi mal employé. Mais passons sur ces détails linguistiques. Lolia comprit que si de tels loups approchaient, il serait bien mal aisé, contrairement au lycans, de les raisonner.
Il y avait un arbre, isolé mais haut, aux abords du lac. Lolia s'élança vers lui et y grimpa en quelques sauts, mettant à profit ses capacités elfiques et l'entrainement qu'elle avait reçu étant enfant. Une fois au sommet, elle eut une vue d'ensemble sur les alentours. Ses yeux ne décelant aucun mouvement inquiétant, elle les ferma et se fia plutôt à son odorat. Elle humât l'air, se rapprochant de l'état de ceux qu'elle cherchait. Aucune bestialité n'atteint ses narines.
Rassurée, elle redescendit de l'arbre. Elle se rendait bien compte que, marchant chaque jour un peu plus à travers cette terre, elle en perdait néanmoins l'habitude de toutes ces acrobaties. Un petit détour par chez elle ou même quelques entraînements quotidiens devraient vite la remettre d'aplomb. Après tout, ce genre de choses servaient toujours et l'avaient d'ailleurs bien souvent sauver de situations périlleuses.
Elle s'approcha alors du centaure qui était toujours appuyé contre son rocher. Son visage crispé représentait autant sa répugnance à demander de l'aide que le besoin réel qu'il en avait. Mais Lolia ne voulait pas le brusquer. Si elle connaissait les moeurs de la plupart des espèces d'Ephaëlya, celles des centaures lui était totalement inconnues. Elle n'avait réellement aucune idée de la façon dont ils pouvaient réagir ni de l'agressivité qu'ils pouvaient dégager. Elle préféra donc prendre des gants dans cette situation. Néanmoins, l'inconnu - n'ayant pas donné son nom, il gardait ce statut - avait besoin de soins, c'était évident. Lolia lui sourit.

- Aucun loup dans les environs. Par contre, j'ai peut-être ce qu'il vous faut.

Elle plongea sa main dans sa sacoche et en sortit une petite boite ainsi que deux feuilles brunâtres aux découpes étranges. Elle hésita encore un court instant ; devait-elle risquer à s'approcher ? Elle finit par faire un compromis ; elle s'avança de quelques pas, environ une longueur de bras, du centaure et lui tendit les feuilles.

- Ça c'est pour la douleur en elle-même, il faut les mâcher. Et ça...

Elle ouvrit la boite, dévoilant un onguent vert pâle. Elle présenta l'intérieur au centaure avant de lui tendre la boite à demi ouverte.

-...C'est à étendre sur la blessure. C'est une préparation elfique plutôt efficace. Avec une bonne dose sur votre blessure, d'ici quelques jours, ça devrait être totalement réparé.

Le visage paisible et confiant de l’elfe se changea soudainement à l’écoute de l’avertissement du centaure. Il ne s’était guère attendu à ce que ses paroles fassent si grande impression. Lorsque l’elfe s’élança vers l’arbre isolé, il présuma d’abord qu’elle s’enfuyait, mais il comprit assez promptement qu’elle accourait tout droit vers le danger pour en jauger par elle-même. Une pensée lui traversa alors l’esprit; Comment les elfes pouvaient-ils vivre aussi longtemps avec un tel courage couronné d’une délicatesse jamais égalée? Bien qu’impressionné, il n’était pas vraiment jaloux. Sa vie lui paraissait suffisamment longue quoique poussière à côté de la quasi immortalité de la race qu’il considérait supérieure.

Dertar observa Lolia au haut des branches et pendant un instant, il en oublia tous ses problèmes. Les marques de ses rencontres hostiles s’effaçaient peu à peu dans son esprit. Même le lac de l’Aube avait perdu tous ses attraits alors qu’il entrait en compétition avec les traits si doux de l’elfe. Nul besoin de refléter les paysages environnants pour inspirer une si grande beauté, elle y arrivait amplement de par sa noble prestance. Le centaure fronça les sourcils alors que la femme redescendait agilement de son perchoir; «Tu ne feras pas la même erreur deux fois» se dit-il en serrant les dents de hargne. Les elfes sont ce qu’ils sont et les centaures sont ce qu’il reste, aussi peu soit-il. Leurs valeurs se croisent et restons-en là. Il cligna des yeux deux fois pour balayer ses pensées et restitua son visage neutre.

À son retour, les cheveux de l’elfe trempés par l’eau du lac s’étaient légèrement séchés par sa course et Dertar le remarqua malgré la futilité d’un tel détail. Elle lui rapporta qu’elle n’avait détecté aucun loup à proximité, remémorant au centaure la raison de son départ et le rassurant à la fois. Elle sortit alors de sa sacoche une petite boîte et des feuilles qu’il reconnut aussitôt dû aux enseignements qu’il avait reçus dans sa jeunesse sur l’utilisation de la flore. Il se remémora le type d’arbre qui les produisait sans pouvoir se rappeler la dernière fois qu’il en avait vu un. Il n’avait jamais pensé s’en faire quelques provisions pour des incidents comme celui-ci. Il tendit la main sans un mot pour soutirer les précieuses feuilles, frôlant la douce peau de l’elfe avec ses doigts forts et un peu abîmés. Il les roula et, avant de les mettre dans sa bouche, s’adressa à la dame sans la regarder, d’une voix douce et timide :

-Merci.

Tout simplement. Alors qu’il mâchait les deux feuilles, il ressentit aussitôt une petite vague de froid, d’abord sur ses gencives, puis dans le reste de son corps lorsqu’il ingéra l’analgésique. Il eut un frisson difficilement perceptible. Déjà, Lolia lui tendait une petite boîte entrouverte où une concoction qu’il n’avait jamais vu reposait. Elle devait être gardée secrète par le peuple des elfes, gardiens de tant de sagesse.

Le centaure ramena vers lui sa patte blessée, jusqu’alors étendue devant lui. La plier lui donna la sensation que le peu de sang qui était parvenu à coaguler se fendillait pour laisser s’écouler celui qui était emprisonné. La douleur, pas encore apaisée par les feuilles, le fit froncer les sourcils et respirer un peu plus fort, sans plus. Il se pencha alors et se mit à retirer le bandage détrempé, révélant la morsure et la chair mise à vif par le loup des ténèbres. Le prédateur, à défaut d’avoir pu partager un somptueux repas avec sa meute, avait au moins pris une bonne bouchée pour se rassasier. Il s’attendait peut-être à retrouver sa proie gisant plus loin, mais Dertar en avait vu d’autre et plusieurs cicatrices étaient là pour le prouver. Cependant, c’était la première fois qu’il croisait ces menaçantes créatures aux crocs acérés. Elles ressemblaient en tout point à des loups, mais semblaient propres à des forêts plus hostiles. Le bandage ensanglanté glissa sur le roc en un petit amoncellement. De toute évidence, il faisait maintenant un peu plus confiance à l’étrangère, même si sa timidité persistait. Cette fois, par contre, il ne tendit pas la main pour prendre ce que l’elfe lui offrait.

-Vous êtes aimable, mais vous devriez épargner cette préparation. Vous pourriez en avoir besoin dans cette nature hostile.

Comme il mentionnait l’hostilité de la forêt avoisinante, il jeta un coup d’œil aux ombrages sous la canopée sans y déceler de mouvement inhabituel. Il était peu coutumier d’entendre un centaure parler en mal de la forêt, mais il était aussi inaccoutumé que l’un d’eux soit privé de la protection de son peuple. Son regard revint sur sa plaie sans croiser celui de l'elfe.

Alors que le centaure avait accepté et déjà commencé à mâcher les feuilles sans hésitation, il refusa le baume :

- Vous êtes aimable, mais vous devriez épargner cette préparation. Vous pourriez en avoir besoin dans cette nature hostile.

Lolia le regarda, étonnée, alors que lui-même tournait son regard vers la forêt avoisinante. La jeune elfe suivit son regard mais ne décela rien. Peut-être le centaure était-il habité par quelques inquiétudes qu'elle-même ne pouvait percevoir. En tout cas, la façon dont il regardait le sous-bois semblait démontrer plus qu'un quelconque inquiétude vis-à-vis des loups. Mais Lolia ne releva pas. Elle tourna son regard vers le centaure qu'elle vit contempler sa propre plaie. Il avait retiré son bandage et le sang s'était mis à couler un peu plus fort.
Lolia ne pouvait s’empêcher de contempler admirativement le centaure. Alors que le silence s'éternisait, son regard d'elfe se faufilait le long des jambes équestres, du tronc humanoïde et du visage sauvage. Une certaine mélancolie se diffusait autour du blessé, Lolia le ressentait très bien. Elle ne pouvait évidemment savoir pourquoi mais elle ne pouvait pas non plus faire comme si de rien était. Elle insista alors :

- S'il vous plait, prenez ce baume. Je peux m'en refaire très facilement dans cette région et vous en avez bien plus besoin que moi. Ou alors acceptez au moins de partagez un repas avec moi, j'ai de la viande séchée et une réserve de pommes et de tomates bien fraîches.

Lolia s'en voulait un peu de le forcer car elle sentait bien une pointe d'animosité. Mais, de façon peut-être un peu égoïste, elle ne pouvait se résoudre à laisser le centaure seul avec sa douleur et sa mystérieuse aura. Sans attendre de réponse, ou peut-être afin de le convaincre, elle plongea à nouveau sa main dans sa sacoche et en sortit la première chose qu'elle attrapa, en l’occurrence une tomate d'un rouge vif. Elle lâcha dans un sourire amusé, espérant une réponse positive:

- Je suis sûre que vous avez faim.

[HRP : Désolée, c'est un peu court.]

Sujet: Re: Crépuscule au lac de l'Aube [Terminé] Sam 2 Mar 2013 - 5:19

Alors que le Tonnerre assoupi avait poliment refusé la concoction de l’elfe, avec un espoir évident qu’elle ne retirerait pas son offre pour autant, cette dernière insista tout aussi courtoisement. Pendant qu’elle lui parlait, la douleur se faisait moins aigüe, comme assourdie, et le vent qui frôlait la plaie se comparait à la sensation d’un courant d’air sur une peau mouillée. Une sensation effacée, diminuant à la fois ses sens, comme s’il ne faisait plus partie de son propre corps. Ou bien était-ce l’épuisement qui accentuait cette perception? Sans attendre sa réponse, elle lui faisait déjà un troisième présent, c’est-à-dire l’inviter à partager un repas à ses côtés. Méritait-il franchement une si charmante compagnie? Pourquoi cette elfe magnifique lui proposait-elle, à lui, de partager sa nourriture? Il s’était rendu compte au cours de son long voyage que la plupart des individus des autres races ne connaissaient que peu les us des centaures, mais ce qui en résultait était, plus souvent qu’autrement, une crainte de l’approcher ou même de lui adresser la parole. Ce ne semblait pas être le cas de l’elfe qui lui faisait face. Peut-être avait-elle vécu quelques temps dans une tribu? Bien sûr que non… Pourquoi tout ramener à cette elfe de son passé… Pourtant cette étrangère semblait comprendre qu’il ne faut pas brusquer ceux de sa race. Il était aussi possible que Lolia était simplement effrayée à l’idée de passer la nuit seule. Les elfes étaient-ils grégaires comme les centaures? Pour sa part, Dertar appréciait cette agréable compagnie, malgré qu’il devrait lui mentir comme à tous les autres qu’il avait côtoyé afin de dissimuler sa honte qui le rongeait depuis tant d’années.

La honte et la peur. Deux sentiments que Dertar avait voulu fuir toute sa vie et en cette journée, ils l’avaient aisément rattrapé. Que ce soit la honte d’avoir été piégé par des prédateurs quelconques et la peur de s’attacher à une elfe qui pourrait lui arracher le cœur ou plutôt la honte d’être sans tribu devant l’étrangère et la peur d’être retrouvé par les loups qui l’avaient brutalisé, ce qui était certain, c’était uniquement que ces deux sentiments étaient présents et là pour persister. Mais ils connaissaient très bien ces émotions qu’il côtoyait régulièrement et il tenterait de ne pas les laisser gagner sur lui une fois de plus.

La centenaire fouilla dans sa sacoche et un fruit rouge en émergea. Ayant fait partie d’un peuple nomade et ayant gardé cette habitude de vie par la suite, il n’avait jamais eu l’occasion de cultiver ce genre d’aliments et n’en avait non plus jamais acheté dans les villages qu’il avait visité. Pourquoi acheter la nourriture lorsque la nature en offre une diversité incroyable? Sa douleur n’avait pas laissé de place à la faim, mais à présent qu’elle le soulignait, il n’avait pas mangé depuis le matin. Il se déplaça un peu sur la roche qui dépassait à peine le niveau du sol, sans se relever, afin de laisser plus d’espace à la généreuse étrangère. Une trace de sang gisait à l’endroit où sa patte de devant se trouvait auparavant et le bandage traînait toujours un peu plus loin. Il le nettoierait pour le récupérer, en temps et lieu. Il jeta ensuite un coup d’œil vers l’horizon, remarquant d’abord que le soleil frôlait déjà le flanc des montagnes, puis qu’une maison reposait sur des piliers de bois plus loin sur le lac gigantesque. Et puis il regarda en direction de l’elfe, sans toutefois croiser directement son regard, comme si, maintenant qu’il lui faisait confiance, il appréhendait qu’elle puisse lire son âme à travers la pupille de ses yeux. Même s’il gardait le regard bas, ses épaules étaient maintenues bien droites.

Couché ainsi sur la roche, il était plus petit que l’elfe, ce qui lui donnait une sensation étrange, mais non désagréable, étant donné que sa stature lui permettait rarement de regarder les gens de plus bas. Le centaure fit une courte contorsion pour sortir de son sac, avec la douceur que l’on requiert pour apprivoiser un animal sauvage, un morceau de tissu froissé. En se dépliant dans la main du centaure, l’étoffe révéla une trentaine de baies comestibles d’un violet bleuâtre qu’il avait cueillie un peu avant l’attaque des loups. Il les déposa délicatement devant lui sur la surface rocheuse dans le but de les partager avec Lolia et risqua un bref regard vers elle.

-Vous pouvez vous coucher… je… je veux dire vous asseoir…

Il eut soudainement l’air cruellement mal à l’aise, ou plutôt encore plus mal à l’aise qu’il l’était et s’empressa d’ajouter, d’une voix un peu tremblante qui jurait sérieusement avec son visage d’apparence hautaine :

-Si vous le voulez… bien évidemment…

Les deux derniers mots avaient été marmonnés, comme s’il se parlait tout seul. Ne s’asseyant jamais lui-même, il utilisait rarement cette expression et eut peur de l’avoir offensé par ses propos maladroits. Il ne s’était toujours pas emparé de la boîte qu’elle lui avait proposée, attendant qu’elle s’installe près de lui, à supposer bien sûr qu’elle accepterait de lui faire cet honneur.

[HRP: C'est amplement suffisant, je n'ai jamais demandé davantage.]

Sujet: Re: Crépuscule au lac de l'Aube [Terminé] Ven 22 Mar 2013 - 13:15

Le centaure au nom toujours inconnu et à l'âme insondable, parut presque étonné de la demande - ou proposition - de Lolia. Cette dernière avait du mal à comprendre pourq... Non, en réalité, elle n'avait aucun mal à comprendre les raisons qui poussaient successivement l'homme à la crainte, la méfiance, la timidité, l'étonnement, l’appréhension,... C'était plus une phrase pour la forme car, quand elle y repensait, tous avait ainsi réagi, elle-même ne dérogeant pas toujours à la règle.
Une moue dubitative du centaure et un regard pensif vers l'horizon où le soleil disparaissait lentement, laissèrent croire à la jeune elfe qu'aucun changement n'allait ébranler la masse chevaleresque qui se tenait devant elle. Résignée à ne plus insister s'il refusait une fois encore son offre, elle fut surprise de le voir se décaler légèrement sur le côté, lui laissant une place visible sur la roche sombre. Gênée aussi qu'il se donne une telle peine dans l'état actuel de sa blessure. Mais Lolia ne se serait pas permis la moindre remarque à ce sujet, consciente qu'elle était de l'intériorité du centaure, elle se doutait que la condescendance, particulièrement à son égard, ne devait pas être un sentiment qu'il appréciait.
Ce dernier sortit des baies de sa sacoche et, même si Lolia avait plutôt mauvais souvenir de la dernière fois où elle en avait mangé, elle fut plutôt ravie par le geste anodin mais tellement accueillant. Néanmoins, l'hésitation du centaure était encore palpable et sa voix timidement grognon et hésitante.

- Vous pouvez vous coucher… je… je veux dire vous asseoir…

Lolia crut presque voir son visage rougir alors qu'il ajoutait avec empressement et force de quelques marmonnements :

- Si vous le voulez… bien évidemment…

La jeune elfe sourit, un peu amusée, mais se retint de la moindre parole. Elle ne souhaitait pas embarrasser d'avantage le centaure et préféra donc le mutisme forcé d'une première rencontre elle aussi forcée. Elle s'assit donc sans un mot et sortit à son tour une partie de ses victuailles, suffisamment pour deux estomacs fatigués et affamés. Elle jeta un coup d'oeil au centaure et lui sourit à nouveau tout en attrapant une de ses baies, histoire de montrer sa bonne volonté.
Lolia sentit le jus de la baie couler sur sa langue et un souvenir de plus étranges se propagea dans sa tête. La dernière fois qu'elle en avait mangé, à bout de force et donc obligée de se jeter sur la première chose venue, l'empoisonnement avait été rapide, fulgurant mais heureusement, pas mortel. Ce fut la première fois qu'elle eut réellement accès au monde des rêves et non pas aux étranges visions que fabrique parfois la méditation elfique. La sensibilité des elfes à l’inanition et la facilité qu'ils avaient à y succomber ne lui avait plus jamais joué de pareil tour par la suite. C'est pour quoi elle avait bien assez dans sa sacoche pour nourrir deux personnes.

Alors qu'il mangeait, le silence se prolongeait mais de façon bénéfique. Lolia ne se sentait pas gênée par l'absence de mots. Elle ressentait quelque peu le besoin de parler, bien évidemment, c'était dans ses habitudes, dans son caractère, mais elle se retenait, prenait son temps. Elle ne voulait pas brusquer le centaure ou lui donner des raisons de regretter son choix d'avoir laisser l'elfe s'installer à ses côtés.
Quand elle fut rassasiée, Lolia se leva et alla boire à même le lac, question d'économiser sa gourde tant qu'elle avait de l'eau fraîche à portée. Elle revint ensuite s’asseoir sur la roche et contempla un instant les derniers rayons du soleil qui s’effaçaient avec douceur de la surface du lac. Eux-mêmes étaient déjà complètement dans l'ombre, bien que le reflets sur l'eau ondoyante éclairent encore la scène d'une lueur diffuse à l'origine incertaine.
La jeune elfe finit par se tourner vers le centaure en lui demandant d'un air pensif :

- Vous n'êtes pas obligé de me répondre bien entendu et je m'excuse d'avance si la question vous blesse mais...avez-vous vécu en Omërie ?

[HRP : Je suis vraiment désolée pour l'attente, le retard de ma réponse, j'ai été fort débordée. Encore pardon.]

Sujet: Re: Crépuscule au lac de l'Aube [Terminé] Lun 25 Mar 2013 - 6:47

Le malaise du centaure n’était pas passé inaperçu. Par chance, son interlocutrice ne sembla pas insultée par le lapsus, et sourit même, ce qui apaisa quelque peu l’embarras du centaure. D’emblée, il fut honoré qu’elle consentit à s’approcher et prendre place sur la roche, auprès de lui.

Tandis que l’elfe calmait sa faim, le centaure se permit de prendre l’onguent qu’elle lui avait offert plus tôt, en prenant soin d’éviter le regard de Lolia, ce faisant. En l’apposant sur la plaie ouverte, on pouvait facilement distinguer un contraste entre la largeur de son bras et la minceur de sa patte équestre, constituée de muscles, plus que de chair. Mais le sang qui s’en écoulait pouvait aisément attirer davantage l’attention. Jamais il ne vint à l’idée du solitaire que la vue de cette plaie puisse couper l’appétit de l’elfe. En appliquant la crème, Dertar perçut immédiatement une sensation de brûlure engourdissante qui se répandit à ses tendons. Il retira à tâtons de son sac une nouvelle bandelette qu’il se servit pour panser rapidement la plaie en faisant quatre tours. Alors que la sensation de brûlure s’atténuait pour laisser place à une légère démangeaison, le centaure prit aussi quelques baies dans sa main et les ingéra, les yeux fixés sur la roche pour éviter de croiser l’âme à travers les yeux gris et mystérieux de l’elfe. Il aurait aimé passer sa main dans les cheveux de la femme. Son crin doré devait être doux comme la brise matinale du mois de Radyël, il en était certain. Mais ce n’était pas «elle». À l’exception de ses oreilles pointues et de ses cheveux pâles et brillants… Et de sa délicatesse elfique… Elle n’avait aucun point en commun avec la femme de son passé pour laquelle il avait forgé une obsession perpétuelle. Les deux étrangers continuèrent à partager leur repas dans un silence qui aurait pu paraître accablant s’ils avaient essayé de trouver quelque chose à dire, mais ils avaient la quiétude de l’eau d’un ruisseau et la patience du saule qui pousse.

Soudain, Lolia se releva. Dertar l’observa avec intérêt s’éloigner vers le plan d’eau et s’y désaltérer. Sa crainte de la regarder s’estompait quand elle lui tournait le dos, mais alors qu’il parcourait la silhouette des yeux, la honte le saisit à nouveau et il s’efforça de trouver un plus grand intérêt aux fissures de la roche sur laquelle il était toujours couché. Elle revint rapidement reprendre sa place auprès de lui, dans le silence toujours omniprésent et l’ombre qui prenait le dessus sur la lumière. Le centaure jeta un coup d’œil au visage de l’elfe et fut absorbé par ses lèvres qui remuaient alors qu’elle lui posa une question en prenant soin de le mettre à l’aise de ne pas y répondre s’il n’en avait pas envie.

Avait-il déjà parcouru Omërie? Lorsqu’on erre sans carte et seul pendant des années, il est difficile de s’illustrer les territoires traversés et les frontières entre ceux-ci. Cependant, il se rappelait bien qu’à son départ de la tribu, ils se trouvaient dans la contrée des lycanthropes, en Thaodia. Depuis ce temps, il parcourait les kilomètres sans indication véritable. Seul. Quelques rares conversations pouvaient lui donner des indices sur l’endroit où il se trouvait. Un simple «Depuis combien de temps êtes-vous en Oryenna?» lui permettait de se retrouver un peu plus, mais il était rare que les conversations se rendent jusque là avec lui. Cependant, Omërie était toujours une île lorsque Dertar avait quitté ses semblables. Peut-être que sa tribu s’y trouvait à l’instant même. Chassant et cueillant en groupes avec la fierté d’appartenir à une même race harmonieuse et en symbiose avec la nature.

Le soleil se couchait déjà, mais ne s’était pas encore endormi, laissant échapper quelques lueurs qui terminaient leur course en éclairant la scène. Il répondit à l’elfe d’une voix rauque et d’un ton monotone en faisant de son mieux pour ne pas trahir son expatriation.

-Je n’y ai jamais mis les sabots. Vous vous intéressez à cette contrée?

Son regard, qui avait passé des lèvres de Lolia jusqu’aux derniers reflets de lumière sur les vaguelettes du lac, se posa enfin sur les yeux de son interlocutrice.

[Hrp: Ce n'est pas grave, ta vie passe avant le rp! Mais si possible, peux-tu m'avertir par mp quand tu ne répondras pas pendant un certain temps?]

Sujet: Re: Crépuscule au lac de l'Aube [Terminé] Mer 27 Mar 2013 - 13:59

Le centaure parut réfléchir sérieusement à la question. En tout cas, il disparut quelques instants dans ses pensées, absorbé probablement par quelques souvenirs, bons ou mauvais. Lolia contemplait ses yeux brumeux regarder dans le vide. Il revint à lui, aussi soudainement qu'il s'en était allé.

- Je n’y ai jamais mis les sabots. Vous vous intéressez à cette contrée ?

La réponse étonna Lolia en considération du temps qu'il avait pris pour y répondre. Mais aussi parce qu'elle ignorait qu'il puisse naître des centaures ailleurs qu'en Omërie. Les Éphaëliens n'ayant eu connaissance de ces derniers qu'à la découverte de l'île mystérieuse, la jeune elfe ne parvenait pas à imaginer d'autres scénarios.
Les yeux du centaure se levèrent alors vers les siens pour la première fois depuis la début de leur rencontre. Lolia sourit de cette confiance enfin accordée. Elle était heureuse de voir l'homme se dérider. Bien qu'il faille aussi prendre en compte le fait de ses blessures qui devaient déjà moins le faire souffrir.
Elle sourit d'ailleurs à la pensée de son baume. Depuis le jour où elle avait décidé de toujours en avoir sur elle, il n'avait jamais servi qu'à d'autre. D'un sens tant mieux se disait-elle, mais elle trouvait la chose ironique. D'autant plus ironique qu'elle semblait se rapprocher ainsi du métier que sa mère aurait voulu la voir exercer : guérisseuse. Métier qu'elle était loin de mépriser mais duquel elle ne souhaitait certes pas vivre. Entant qu'elfe, elle avait un penchant certain pour la compassion, le besoin d'entraide et la philanthropie. Elle n'hésiterait jamais à soigner quelqu'un qui en avait besoin. Mais de là à courir au devant des blessés, des malades, des infirmes et de toujours passer son temps dans la souffrance, même si c'était pour la guérir, elle avait pour cela le coeur bien trop fragile.
Lolia retourna au présent, elle n'était pas guérisseuse mais son "patient" attendait une réponse.
La jeune elfe se tourna entièrement vers son interlocuteur et s'assit en tailleur. Elle appuya ses coudes sur ses genoux et agita ses mains tout en expliquant, comme elle avait l'habitude de le faire lorsqu'elle s'emballait dans ses récits.

- En effet, c'est une terre bien mystérieuse et si inconnue. J'aimerais m'y rendre. j'y serais probablement déjà s'il ne fallait pas prendre en compte la présence des marcheurs. La rumeur court qu'il y en aurait certains sur Ephaëlya mais je n'en ai encore jamais rencontré. Néanmoins, les histoires à leur propos et la quantité astronomique qu'il doit y avoir en Omërie me font prendre mon temps pour m'y rendre, je dois l'avouer.

Lolia observa le centaure d'un air intrigué. Elle se demandait ce qu'il penserait de tout cela. Etant centaure, peut-être en savait-il plus à propos des marcheurs, races si récentes, si méconnues. La jeune elfe avait espérer en apprendre plus sur Omërie dans cette conversation, et même si cet espoir tombait à l'eau, elle était heureuse de pouvoir profiter d'une conversation, somme toute plus calme.
Sans compter que la nuit était maintenant tombée, l'obscurité s'était levé et avait recouvert le lac et la vallée qui l'entourait. Elle avait recouvert les deux protagonistes et un doux chant nocturne de hibou commençait à se faire entendre.

[ HRP : Promis :)]

Sujet: Re: Crépuscule au lac de l'Aube [Terminé] Sam 30 Mar 2013 - 21:25

Après sa réponse à la dame elfique, et que son regard de la couleur de l'écorce s'était enfin attardé dans celui d'une couleur lunaire de cette dernière, elle sourit, mais Dertar n'en connaissait pas la raison. Comment aurait-il pu se douter de la fréquence à laquelle elle avait offert sa concoction elfique pour aider des blessés, tout comme lui. Il ne pouvait pas non plus deviner qu’elle avait eu une discussion semblable avec un autre elfe peu de temps auparavant.

Lorsqu'elle reprit la parole, le centaure avait déjà détourné les yeux et n'avait pas remarqué la surprise sur le délicat visage de son interlocutrice en réaction à sa réponse. Elle s'était assise en tailleur face à son imposante stature et cela le faisait sentir tout petit. D'autant plus que sa voix était mélodieuse et agréable… Elle expliquait son intérêt pour l’île. Ses doigts minces et agiles fendaient l’air pour appuyer chacun de ses propos... Elle parlait des marcheurs. Il tentait d'abord de suivre ses gestes du regard, mais abandonna bien vite pour se concentrer à nouveau sur la prunelle de ses yeux, bien que la regarder ainsi lui causait des difficultés à écouter ce qu'elle disait avec tout l'attention qu'elle méritait. Lui qui ne faisait que voyager depuis cinq années n’avait en fait pas d’intérêt particulier à visiter de nouveaux paysages. Pour lui, chaque contrée était du pareil au même, puisque dans son esprit, la culpabilité et la honte ne se dissipait pas à la vue de cascades ou de lacs splendides comme celui qui s’étendait devant eux. Du moins, ces sentiments ne s’effaçaient pas assez longtemps. Au contraire, il trouvait encore plus répréhensible de se délecter de paysages qu'il n'était pas digne de contempler.

Les marcheurs... il avait entendu parler de ces damnés en même temps que les autres races d'Ephaelya, mais particulièrement un jour en Oryenna il y avait de cela moins d'une année. C'était un homme des tavernes, nommé Jerdand, qui lui avait raconté comment il avait perdu son frère, tombé amoureux d'une vile créature aux intérêts cachés. Elle avait, étape par étape, détaché son frère de sa famille et de ses amis, jusqu'à ce qu'il ne compte plus que sur elle pour respirer. Bref, une horrible histoire depuis laquelle Jerdand s'était réfugié dans les tavernes pour noyer sa peine d'avoir laissé l'âme de son frère être dégustée par, disait-il, le pire être ambulant qui avait été créé par les Dieux. Mais pour le centaure, une marcheuse n'était pas plus dangereuse qu'une autre prédatrice du cœur qui déguerpit après avoir déraciné le tien.

À l'idée seule qu'une telle situation puisse se présenter à Lolia faisait chanceler le cœur de Dertar, mais pour lui, les elfes, cette race supérieure, devaient être à l'abri de tentatives de la sorte. Lorsque la dame cessa de remuer les lèvres et les mains, le centaure baissa les yeux quelques secondes et lorsqu'il les releva, il murmura d'une voix étouffée et sans y réfléchir davantage:

-Sên ne permettrait pas qu'il vous arrive malheur...

Cette phrase pouvait n’avoir aucun sens hors du contexte de ses pensées, mais elle était sortie toute seule, destinée à une admiration du courage de sa race, ainsi qu'un réconfort pour les dangers qui pourraient sévir, mais qu'aucun Dieu n'oserait faire subir à une race comme la sienne. Le centaure reprit rapidement la parole au lieu d'anticiper une réaction de confusion chez la jeune femme, cette fois avec une voix un peu plus limpide:

-Cependant, avez-vous pensé vous joindre à un groupe d'aventuriers, afin de vous rendre en Omërie en toute sécurité?

Les derniers rayons de lumière s'étaient échoués au milieu du lac, seule la lumière lunaire permettait au centaure de voir le visage un peu brouillé de l'elfe. Malgré son malaise, malgré sa crainte, il aurait aimé que le soleil ne se couche jamais et pouvoir observer l'elfe jusqu'à ce que ses yeux se ferment pour de bon. Maintenant, il craignait qu'elle s'en aille aussi brusquement qu'elle lui était apparue, mais avec la douceur réconfortante qui lui manquerait assurément.

Avait-elle l'intention de passer cette nuit auprès de lui? Le seul fait qu'elle lui ait fait suffisamment confiance pour l'honorer de sa présence alors que la nuit tombait le comblait amplement ou plutôt beaucoup plus qu'il ne l'aurait mérité. Peut-être devrait-il lui-même quitter les lieux avant de trop s'attacher à elle. Qui sait quel malheur pourrait survenir cette fois-ci... Mais il était incapable de se résilier à partir.

[Hrp: J'espère que tes examens se sont bien passés si c'était le cas!]

Sujet: Re: Crépuscule au lac de l'Aube [Terminé] Dim 31 Mar 2013 - 14:30

- Sên ne permettrait pas qu'il vous arrive malheur...

Lolia fut à nouveau étonnée des propos du centaure. Sên... cela faisait bien longtemps que la jeune elfe n'avait plus honoré sa déesse. Grosse erreur de sa part. Peut-être était-ce la cause de son étrange mélancolie des derniers temps. Elle ne jurait pas que par les dieux, bien loin d'être une fanatique. Mais leur existence n'était pas une hypothèse. Elle respectait tous les dieux d'Ephaëlya mais particulièrement Sên. Logique, allez-vous dire, pour une elfe. Elle avait toujours appliqué à sa vie le principe du remerciement. Elle savait que les bienfaits naturels dont elle bénéficiait étaient majoritairement l'oeuvre de la grande déesse verte. Et Lolia ne manquerait jamais de la remercier pour cela ainsi que pour le reste. Mais ces récentes aventures l'avaient légèrement écarté de ce droit chemin que suivait la plupart des elfes. Elle avait récemment négligé l’importance de l’intervention divine pour ne plus se fier qu'à son propre libre-arbitre. Elle ne pensait pas réellement que ce fut une erreur. Mais la grande déesse l'avait déjà aidé par le passé et il serait injuste de le lui rendre de cette manière aussi ingrate. C'était décidé, elle se rendrait à Ardamir dès demain. Bien sûr, Sên était le plus souvent invoquée en pleine forêt voir à la vallée des cascades. Lolia pourrait très bien faire quelques mètres dans la forêt alentour du lac pour s'immerger dans la méditation et le repentir. Mais au temple de Sên, elle aurait le loisir de parler avec quelques autres adeptes, ce qu'elle souhaitait. Il faisait long depuis la dernière fois où la déesse avait fait une apparition, peut-être y trouverait-elle au moins un quelconque réconfort.
Elle répéta mentalement l'incantation de Sên : "Ô déesse de la flore, apaise nos esprits, met nous en communion avec la nature." Elle se sentit alors très calme. Et la voix douce quoique grave du centaure l'apaisa encore davantage.

- Cependant, avez-vous pensé vous joindre à un groupe d'aventuriers, afin de vous rendre en Omërie en toute sécurité ?

Lolia le regarda un instant avant de répondre d'un air penaud. Un groupe d'aventuriers ? Bien sûr qu'elle y avait pensé. Seule, ça aurait été pure folie. Mais elle sillonnait Ephaëlya depuis bien longtemps maintenant et ce n'était que récemment qu'elle s'était mise à chercher le groupe parfait pour son expédition. Elle avait déjà rencontré des gens qu'elle aurait aimé voir dans sa troupe mais elle était un peu trop perfectionniste, cherchant continuellement mieux, ce qu'elle savait stupide. Elle avait une idée très fixe des personnes qu'elle cherchait et son esprit avait du mal à faire des concessions. Et lorsqu'elle trouvait la personne idéale, car oui, c'était déjà arrivé, celle-ci disparaissait vers l'horizon sans laisser la moindre trace. Elle voulait, de façon très utopique, une équipe parfaite aux dons variés. Et pour couvrir un tel champ de possibilités, elle savait qu'il était nécessaire d'avoir au moins un représentant de chaque race. Elle-même représenterait les elfes, quoiqu'elle n'était pas contre l'idée de s'allier d'un deuxième, leur agilité et leur maîtrise de la nature. Un lycan pour leur force et leur ruse. Un vampire pour leur discrétion et leur grand calme. Un nain pour leurs stratégies guerrières et leur habilité. Un humain pour leurs connaissances variés et leur débrouillardise. Et enfin un centaure pour leur grande sagesse et leur force physique.

- En réalité, j'avais plutôt pensé à en former un. Mais les choses ne pressent pas. J'aurais aimé à trouvé un représentant de chaque race d'Ephaëlya mais c'est un peu utopique et surtout...il n'y a aucune raison précise à cela...

Elle laissa passer une poignée de secondes avant de comprendre le sens strict de ses paroles et ce qu'elle avait, probablement inconsciemment, voulu dire.

- Au fait, vous êtes un centaure, le premier que je rencontre. Seriez-vous intéressé par une telle quête si un jour elle se réalisait ?

Loin de pouvoir se représenter ce qui naviguait dans la tête de l’aventurière après l’évocation du nom de leur divinité commune, le centaure avait rapidement émis l’idée qu’elle puisse rejoindre un groupe pour se rendre en Omërie. Bien que plusieurs respectent toutes les divinités à part égale, la plupart des races n’en prient qu’une seule. Celle, évidemment, qui symbolise leur race ou leurs valeurs. Le fait qu’ils prient la même déesse prouve que les elfes et les centaures partagent plusieurs traits de personnalité et que la plupart de leurs priorités se recoupent. Cependant, à l’esprit de Dertar, ce point commun signifiait que les centaures n’avaient été conçus à l’image d’aucun Dieu et qu’ils étaient soit une erreur de création, soit une bête quelconque qui n’avait que peu d’intérêt aux yeux des êtres supérieurs. Bien sûr, il respectait toujours les autres créatures du monde, même si elles ne sont pas douées de parole, mais sa vie se serait certainement déroulée autrement si les centaures avaient été considérés une race équivalente aux autres races principales d’Ephaëlya. Toutes ces pensées le hantaient régulièrement, mais il n’était pas temps de s’apitoyer, puisque Lolia prenait la parole et expliquait le projet à connotation utopique qu’elle avait un peu prévu réaliser.

Ensuite, comme si elle avait lu dans les pensées de Dertar − mais il n’en était rien −, elle mentionna son désir de créer un groupe d’aventuriers où toutes les races seraient dûment représentées. Les sourcils du centaure se froncèrent alors, sans toutefois évoquer de colère; Il se demandait plutôt si son interlocutrice considérait les centaures comme une race à part entière qui puisse potentiellement l’aider dans sa quête. Il n’eut guère besoin de réfléchir à la question plus longuement, puisque l’elfe lui proposa de se joindre à son groupe, dans un avenir indéterminé.

Cette elfe splendide qu’il avait rencontré si peu de temps auparavant et qui l’avait secouru sans rien demander en retour lui offrait maintenant un objectif de vie, le seul qu’il n’ait jamais eu au cours de toutes ces années d’errance. Aurait-il la prétention d’y lever le nez?

Bien que Dertar fût surpris d’entendre que Lolia n’avait jamais rencontré de centaure avant lui − et il ne s’en serait jamais douté, puisqu’elle semblait si accoutumée à leur culture −, il répondit prestement, son cœur le devançant dans sa réponse. Sa voix grave était ponctuée de courtes pauses, mais juste assez longues pour contrarier un impatient :

-Je suis Dertar… Émérisque, dit Tonnerre assoupi… Ce serait un honneur pour moi de rejoindre le groupe… que vous aurez rassemblé… Mon arc est à votre entière… disposition… quand il vous fera gré… d’user de mes services.

Posant sa main sur l’arme attachée à son flanc pour soutenir ses propos, il inclina légèrement la tête en signe de respect tout en fermant les yeux quelques instants. Son nom de famille ne signifiait plus grand-chose, car il ne faisait plus partie de sa famille, mais encore une fois, il voulait éviter les questions et les vérités en l’exposant de la sorte. Peut-être qu’en plus de n’avoir jamais rencontré de centaure, elle ne connaissait pas réellement leurs coutumes et donc ne pourrait pas se douter qu’il avait fait quelque chose de mal pour se retrouver sans tribu. Mais Dertar n’était pas centaure à prendre une telle chance de dévoiler son passé trouble, même s’il s’agirait seulement de mentionner qu’il était sans tribu. De toute façon, quand cela était possible, il préférait ne rien dire sur sa condition tribale plutôt que de mentir et risquer que cela paraisse. Il n’avait jamais appris à mentir, bien que ceux qui ne le connaissaient pas, c’est-à-dire tous ceux qu’il avait rencontré depuis bien longtemps, ne pouvaient pas s’apercevoir que son comportement changeait quand il cachait la vérité. Ainsi, il se débrouillait assez bien.

Ce n’est qu’après avoir répondu à l’aventurière qu’il réalisa qu’elle ne semblait pas avoir rejeté l’idée d’inviter dans le groupe des membres de la race vampirique. Bien que Dertar ne jugeait généralement pas les êtres des autres races, celle-ci le rebutait pour plusieurs raisons. Il trouvait entre autre que les vampires étaient une insulte aux divinités qui devraient avoir le pouvoir de choisir l’heure de la mort de ses créations. Comment mourir et ambuler sur les terres des vivants pouvait être considéré comme une race au même niveau que les autres? Une aberration de la nature…

Le centaure avait baissé les yeux vers la pierre et fronçait légèrement les sourcils d’un air pensif, son enthousiasme monotone interrompu temporairement par le flot de ses pensées.

Le centaure parut plus qu'étonné à l'écoute de la proposition de Lolia. Elle regarda ses yeux s’écarquiller alors qu'il tentait de formuler une réponse :

- Je suis Dertar… Émérisque, dit Tonnerre assoupi… Ce serait un honneur pour moi de rejoindre le groupe… que vous aurez rassemblé… Mon arc est à votre entière… disposition… quand il vous fera gré… d’user de mes services.

Ce fut au tour de la jeune elfe d'ouvrir grand les yeux. Elle ne s'était certes pas attendu à un tel enthousiasme. Dertar ; elle était bien heureuse d'enfin connaitre son nom, de poser un mot sur ce visage, de ne plus être obligée de simplement l'appeler "le centaure", mot tellement vulgaire. Tonnerre assoupi ; un surnom digne d'un centaure, à n'en point douter. Elle en ressentait toute l'ampleur en contemplent les yeux intenses, le regard profond, de cet homme longtemps sans nom. Dertar inclina la tête pour montrer sa bonne foi.
Lolia ne savait comment réagir à une telle mise en service. Elle finit par éclater de rire, un rire cristallin, léger, chantant, qui s'éloigna dans les alentours dans un léger échos. Elle se reprit vite, ne voulant pas blesser son nouvel ami. mais un sourire tenace resta gravé sur son visage enjoué.

- Je vous remercie de votre enthousiasme... Dertar. Pardonnez-moi, mais je ne m'attendais vraiment pas à vous voir aussi disposé à m'aider. C'est avec grand plaisir que j'entend votre réponse.

Lolia regarda le centaure dans les yeux un long instant, scrutant probablement inconsciemment quelque chose. Mais quoi ? Elle était pensive, perdu dans un autre monde. Cette promiscuité qui s'était créée entre eux la laissait quelque peu perplexe. Malgré l'épaisse armure dont Dertar s'était muni au début de leur rencontre, ils avaient vite sympathiser et Lolia appréciait ça tout particulièrement. Ça faisait si longtemps que ce n'était pas arrivé avec tant de facilité. Jerc avait été un ami des plus agréables mais leurs rencontres furent brèves et comme en suspens de la vraie vie. Cette fois-ci, c'était différent. Elle pouvait profiter pleinement de la soirée, tout en sachant que, peu importe ce qui arriverait, ils se reverraient tôt ou tard.
Après quelques minutes laissée dans le silence de la réflexion, Lolia continua :

- Je crois qu'il se fait tard, peut-être serait-il temps de s'installer pour la nuit. Qu'en pensez-vous ?

Elle avait décidé de passer la nuit aux côtés du centaure. Il était tard et elle n'avait pas d'endroit précis où aller ce soir. Autant en profiter. Demain matin, elle lui demanderait où elle pourrait le trouver le moment venu. Pour ce soir, elle voulait surtout profiter de la lune, du calme, du sifflement du vent sur l'eau noire, des étoiles et de Dertar.

Le peu d’estime que le centaure avait pour lui-même sombra durant le court moment où la jeune femme s’était esclaffée. De toutes les réponses qu’il aurait pu anticiper, celle-ci n’en faisait certainement pas partie! Il se remémora le temps où son cousin s’amusait à ses dépens, tout comme la vie se moque des solitaires, et il n’y avait plus que le tonnerre qui grondait en lui, dans son silence habituel et imprévisible. Mais il n’était pas réellement en colère. Interloqué serait un mot plus approprié pour décrire ce sentiment qui passait si rapidement, à sens inverse, sans laisser de trace. Il n’aurait même pas pu dire depuis combien de temps il n’avait pas ri, ne sachant plus trop à quoi cela pouvait être utile, alors que son cœur souffrait de carence depuis si longtemps.

Lorsque l’effet de surprise s’estompa et que l’elfe s’expliqua, Dertar ne prit pas la peine de sourire. De toute façon, ça ne lui allait pas du tout. Mais il éprouva une forte émotion qu’il ne se rappelait pas avoir ressenti jadis. Difficilement descriptible, elle avait du moins la caractéristique d’être positive et ce malgré l’absence d’alcool dans son organisme. Une joie inconsolable et contagieuse qui l’envahissait dans une chevauchée effrayante et qui devait probablement se voir dans ses yeux grands ouverts. Resterait-elle pour une fois, cette bonne humeur? De toute évidence, Lolia lui avait réservé bien des surprises en venant à sa rencontre. Il aurait aimé la serrer dans ses bras une vie entière, et si cela ne suffisait pas pour lui démontrer sa reconnaissance, une vie elfique serait plus juste. Il n’en fit rien, bien évidemment, sa timidité étant bien plus robuste que ses désirs. Et puis, il espérait tant ne jamais décevoir la jeune elfe, mais pour cela, il ne fallait jamais qu’elle le connaisse, ni qu’elle découvre son passé. Le centaure repentant ne pouvait pas recommencer tout ce qu’il avait échoué et gâché, mais il pouvait tenter de ne plus être prisonnier de sa propre mémoire. L’effacer une bonne fois et pour de bon; Un rêve irréel et irréalisable. Il garderait toujours cette écorce qui l’avait maintenu en vie jusqu’ici, mais peut-être se séparerait-t-il de quelques écailles afin de laisser ce qui se rapprochait le plus d’une amie, qu’il n’avait jamais eu, se glisser entre ses ronces.

L’un des silences les plus beaux que Dertar n’eut jamais entendu suivi les paroles de Lolia. Le centaure songeait que tous les silences nocturnes qu’il avait subis dans sa solitude étaient incomparables à ce silence aussi bien accompagné et ponctué d’une voix mélodieuse qui s’adressait à lui. Elle rompit le silence, sans toutefois l’endommager, en proposant qu’ils s’installent pour la nuit. Il ne se serait pas fait autant confiance, même s’il se connaissait mieux que personne. Après Sên, bien entendu. Et cette confiance qu’elle lui accordait l’honorait plus qu’elle n’aurait pu s’imaginer. Sans un mot, le centaure se releva aussi délicatement qu’un cheval pourrait le faire – c’est-à-dire très peu –. Il déposa ensuite sa patte blessée doucement sur la pierre, comme pour la tester. Il comprit alors que sa respiration qui était un peu plus difficile n’était pas causée entièrement par la présence de l’elfe, mais par son poids sur ses poumons. Il était resté un peu trop longtemps couché et devait maintenant se tenir debout s’il voulait dormir confortablement… Jetant un coup d’œil inutile vers les ténèbres qui les entouraient, il baissa ensuite les yeux sur sa camarade avant de briser ce nouveau silence délicieux :

-Vous avez raison, la nuit est tombée depuis un bon moment. Avez-vous besoin de quelque chose… pour dormir?

Bien que durant son vagabondage il se trouvait plus souvent dans la nature, il lui était arrivé à plusieurs reprises de traverser une cité. Toujours, il y avait des auberges avec des pièces où les autres races dormaient sur des lits. Lolia ne semblait pas s’adonner à ce genre de luxe, en pleine forêt surtout, mais Dertar n’était pas très accoutumé à leurs méthodes de repos.

Dertar se redressa et étira sa patte endommagée. Lolia fut impressionnée par la taille imposante du centaure. Depuis le début de leur rencontre, elle ne l'avait encore vu qu'allongé. Ses pattes étaient immenses et... son poil chatoyant... Pouvait-on réellement dire - ou dans ce cas-ci penser - une telle chose d'un être tel que Dertar, d'un centaure ? Lolia ne trouvait pas la chose très polie, voir déplacée. Alors qu'elle n'y avait pas encore pensé une seule fois jusqu’à présent, elle contemplait enfin toute la particularité des centaures. Et plus que jamais, son envie de se rendre en Omërie se fit entendre. Un peuple aussi splendide devait avoir une culture des plus riches. Avoir la chance - l'honneur - de se promener dans une ville centaure devait être une chose formidable !
Mais alors que Lolia fantasmait sur ce que devait être une maison chez eux, elle fut ramenée à la réalité par un gémissement de Dertar. Sa patte était abîmée et, même si le sang ne coulait plus, et malgré les remèdes qu'elle lui avait procuré, il devait encore souffrir atrocement. Elle ne connaissait rien de la résistance à la douleur des centaures mais elle espérait que leur côté animal leur garantissait un certain bien être de ce côté là.

- Vous avez raison, la nuit est tombée depuis un bon moment. Avez-vous besoin de quelque chose… pour dormir?

Lolia le regarda en réfléchissant au sens de sa question. Elle finit par comprendre qu'il devait probablement juste s’inquiéter de son confort et sourit à nouveau devant tant de tendre attention.

- Non merci. A vrai dire, je ne vais pas réellement dormir, les elfes en sont incapables. Je vais simplement plonger dans la méditation durant quelques heures afin de me reposer le corps et l'esprit. Ni le froid ni les sensations réelles ne m'atteindront donc ce rocher sera parfait.

Lolia se positionna en tailleur sur le rocher et posa ses bras sur ses genoux. Elle regarda Dertar droit dans les yeux et lui sourit tendrement.

- Reposez-vous bien cette nuit, vous devez reprendre des forces... Dormez bien.

Sa voix avait été douce et réconfortante à la fois. Elle était un peu honteuse de "s'endormir" si vite, sans laisser le temps au centaure de lui parler plus avant. Mais elle était épuisée et aussi un peu mal à l'aise vis-à-vis de la douleur de Dertar. Elle se sentait égoïste de lui parler d'elle alors que lui devait probablement se battre pour ne pas montrer qu'il était blessé. Elle se disait que demain, tout serait plus facile.
Un dernier sourire pour son ami et elle ferma les yeux. Elle entendit encore un peu le souffle du vent dans ses cheveux et sur l'eau froide. Elle sentit le bruissement de ses vêtements contre sa peau. Elle sentit la présence de Dertar tout près d'elle. Puis plus rien, le monde se ferma et, comme la plupart des fois, son esprit fut vidé et elle se réveilla sans avoir fait le moindre songe.

Sa méditation ne durant que quelques heures, il faisait encore sombre quand elle se réveilla. Lolia observa le centaure endormi et se redressa en silence. Elle sentit son corps reposé et son esprit sain et savoura le vent frais sur son visage. Le ciel était encore noir mais on distinguait déjà une légère lueur, loin à l'est. La jeune elfe s'approcha du bord de l'étang et bu silencieusement l'eau glacée par la nuit. Elle se dirigea ensuite vers ses affaire et n'emporta que son arc et son carquois. Bien qu'elle n'ai pas la moindre idée du régime du centaure, elle avait dans l'idée de chasser quelque chose. Elle s'avança jusqu’à la lisière du bois mais finit par se raviser. Lors de leur repas de la veille, Dertar n'avait pas touché à la viande, peut-être n'aimait-il pas cela ? La jeune elfe fit volte-face et retourna jusqu'au campement improvisé. Dans le pire des cas, il restait de la viande séchée, autant ne pas gaspiller une nouvelle proie tant qu'il restait des provisions.
Lolia prit donc le parti de s’asseoir au bord de l'eau. Elle enleva ses bottes et étendit ses pieds jusqu'à ce qu'ils atteignent la surface. Du bout d'un orteil, elle créa une infinité de vaguelettes qui s'éloignèrent en spirale tout autour.
Le temps passa, le soleil se leva, doucement, dans un murmure...

Alors que Lolia expliquait à Dertar la méthode de repos des elfes, un songe lui traversa l’esprit. Il avait beau avoir traversé le continent pratiquement en entier, il n’y avait au bout du compte appris que très peu sur les autres races, ce qui le confrontait à son ignorance. Il se promit à l’instant de s’intéresser davantage à leurs différences. Les elfes ne dorment pas véritablement… Il ne savait plus très bien s’il les admirait ou les enviais. Ces deux sentiments sont parfois si près l’un de l’autre. Alors que la jeune femme s’assoyait sur la pierre, il la regardait de haut tout en se sentant insignifiant à côté d’elle. Comme si ce rêve ne lui appartenait pas. Lolia souhaita bonne nuit à la bête et l’avisa de bien se reposer. Il savait bien qu’elle faisait référence à sa blessure podale et espérait ne pas avoir eu l’air trop faible à ses yeux. Surtout par la façon dont elle était survenue. Il aurait pu être plus alerte... ou plutôt aurait dû. Mais il n’aurait peut-être jamais rencontré la belle si ce n’était de cet incident. À bien y penser, il avait bien fait de ne pas être assez alerte! D’un autre côté, il ne lui avait montré aucune de ses compétences et pourtant elle l’avait invité dans son groupe d’aventuriers. Pourquoi?

-Merci. Reposez-vous bien également.

Un simple merci, encore une fois, qui ne saurait illustrer toute la gratitude qu’il lui devait. De plus, il avait été murmuré tel un bruissement, alors qu’il aurait dû le crier, afin que Sên l’entende aussi bien que l’elfe à qui il l’adressait. Elle avait secouru sa vie et son âme. Son existence dépourvue d’objectif était d’un monotone angoissant. À présent qu’il en avait un, aussi temporaire était-il, il respirerait beaucoup mieux. Jusqu’à ce que son amie le quitte pour de bon, après cette aventure, le laissant à ses anciens déboires. Du moins, il ne pouvait qu’espérer qu’ils deviennent anciens…

Lolia avait fermé les yeux, plongeant le centaure dans un silence beaucoup moins agréable que ceux qu’il avait entendus dans la soirée. Il ne put se résigner à fermer les paupières pareillement, de peur qu’à son éveil, sa bienfaitrice soit disparue et ses promesses avec elle. Et comme s’il gardait jalousement un trésor des plus précieux, il ne pouvait se permettre de s’endormir et de le perdre. Un trésor dont il avait le fardeau et l’honneur de surveiller, malgré qu’il se défende très bien tout seul. Il l’observait autant qu’il lui était possible dans l’obscurité, amoindrie discrètement par les miroitements du lac, en distinguant presque un halo de lueur autour de ses cheveux, de ses joues et de ses bras. Une braise d’inquiétude éclairait le fond de son regard avant qu’il ne ferme les yeux lui-même, l’épuisement l’emportant sur sa cupidité.

Il ouvrit l’œil comme s’il venait tout juste de le fermer, mais le soleil l’avait vu se lever avec la même idée collée à l’esprit et sa crainte se concrétisa lorsque son regard se déposa de sitôt sur la roche désertée. Le cauchemar qu’il venait tout juste de vivre lui revint alors en tête. Il se rappelait vaguement un lac énorme, d’aucun qu’il n’ait déjà vu. Son cousin, Filam, y pêchait avec une lance et riait avec une demoiselle. Ce devait être une elfe, ce ne pouvait en être autrement. Et soudain, un monstre énorme sorti des flots, avalant sans effort la jeune femme. Et puis il se rappelait son cousin l’accusant d’être la cause de la tragédie. Il se sentait étrangement coupable… Ce sentiment persistait à son éveil. Il ne put s’empêcher de penser que les elfes étaient chanceux de ne pas avoir à subir le sommeil et les cauchemars qui s’y rattachent. Les siens étaient si réels parfois. Le centaure jeta un œil vers le lac, s’attendant à voir un monstre en sortir et il l’aperçut. Pas le monstre, mais la belle. Elle se trouvait assise au bord de l’eau, tout près, les pieds dans l’eau. Les reflets du ciel de l’aurore sur le lac de l’Aube donnaient l’impression de s’élever tout en maintenant les sabots sur la terre ferme. Il aurait aimé qu’un artiste de l’un des villages qu’il avait parcouru fasse un tableau de tout cela, afin qu’il puisse en garder un souvenir immuable. Que le temps s’arrête, n’avance ni ne recule. Lui qui habituellement subissait la vie comme un poison lent, désirait à présent qu’elle ne finisse jamais.

Il voulut s’approcher sans déranger Lolia, mais il n’est pas très aisé de se déplacer sans bruit lorsqu’on est muni de quatre sabots, surtout quand l’un d’eux refuse de soutenir le poids du corps de son hôte. Effectivement, il boitait un peu, mais ce n’était rien comparé à ce qu’aurait été sa blessure sans le précieux onguent elfique. Il fit quelques pas vers la jeune elfe et resta légèrement en retrait, comme par peur de gâcher ou de remettre en mouvement une image aussi magnifique, qu’il n’aurait jamais plus le plaisir de contempler. Le regard fixé sur ce portrait, il formula de sa voix grave et douce :

-Si le soleil est nouveau à l’aurore de chaque journée, j’espère que vous n’avez pas changé d’avis… à propos de l’aventure en Omërie. Indiquez-moi un jour et un lieu et Sên elle-même ne saurait m’empêcher de vous y retrouver.

Ses dits ne résultaient jamais aussi bien qu’il les avait préparés, toujours hésitant et cherchant ses mots. Il sourit, même si cela jurait atrocement avec son visage distant. Ça ne lui arrivait pas souvent, mais il était réellement heureux de se réveiller et se rendre compte que la veille n’était pas un rêve. Peut-être aurait-il dû seulement se taire et laisser l’elfe profiter de la brise matinale?

Le scintillement infini du lac obligeait la jeune elfe à fermer les yeux. La lumière était si intense. Pourtant, elle aurait aimé garder les yeux grands ouverts sur la splendeur incommensurable du lieu. Des collines tout autour du lac, un soleil radieux qui perçait entre deux d'entre elles, des forêts verdoyantes, un lac immense aux reflets d'or pur, une plaine ondoyante à l'herbe grasse, un vent frais et chantant, des oiseaux,... la vie réduite à son état le plus pure. Lolia souriait imperceptiblement, la tête légèrement penchée en arrière afin de profiter au mieux des rayons ardents du soleil. Le ciel était encore lésé de quelques couleurs automnales, laissant, proche de l'horizon, quelques traînées oranges, signe de l'heure matinale. L'eau était plutôt froide mais son contact était apaisant et empêchait de fondre dans ce décor idyllique.

Lolia entendit les pas du centaure quand il se réveilla. Sa musculature et la présence de ses sabots le trahirent probablement bien mieux que ne l'aurait fait les sens aiguisés de l'elfe. Consciente de son approche, Lolia resta néanmoins immobile, attendant qu'il soit à ses côtés. Elle le sentit s'arrêter à quelques pas d'elle, il devait être en train d'observer la scène, c'était certain. Comment pouvait-on rester insensible à un tel spectacle ? Après un cours laps de temps, il rompit le silence :

- Si le soleil est nouveau à l’aurore de chaque journée, j’espère que vous n’avez pas changé d’avis… à propos de l’aventure en Omërie. Indiquez-moi un jour et un lieu et Sên elle-même ne saurait m’empêcher de vous y retrouver.

Lolia sourit devant la tournure de phrase que Dertar avait choisi pour exprimer sa crainte. Parler du soleil était un signe évident que la scène le touchait.
La jeune elfe sourit et tourna son visage vers Dertar. Elle le contempla un instant, les yeux plissés par le soleil. Elle finit par se redresser, sortant ses pieds de l'eau. Elle se mit face au centaure, histoire de donner plus de poids à ses paroles.

- Je ne donne jamais ma parole à la légère. Le seul ennui est que je ne saurais dire quand sera prête mon expédition. Alors je te propose quelque chose... Retrouvons nous en Ardamir à la prochaine période, au cinquième cycle de Kandíntia , durant Vitaeï, le jour de la vie.* Ça nous laisse toute la période du grand cheminement pour mettre les choses en place. Et, dans le pire des cas, si l'expédition n'est pas prête, ce sera toujours l'occasion de se revoir et de prévoir une autre rencontre. Qu'en penses-tu ?

[HRP : Un peu court mais je manque de temps aujourd’hui désolée :/
*J'ai un peu de mal à m'y retrouver dans les dates Ephaëlyennes. Je ne sais pas si c'est ton cas donc voilà toujours le calendrier : http://www.ephaelya.com/t1582-calendrier-ephaelien-astronomie-ephaelyenne]

Les rayons du soleil se déployaient habilement entre deux collines, juste en face d’où ils avaient rendus l’âme la veille au soir, laissant planer un doute sur l’avenir des deux aventuriers, mais surtout dans l’esprit du centaure. Lorsque l’elfe se retourna vers lui, il dut détacher son regard de la scène en entier pour se concentrer sur la partie qui lui conférait tout son charme. Ses yeux de la couleur de l’écorce tombèrent dans ceux de l’elfe, de la couleur de la cendre rayonnante dans laquelle on voudrait renaître. Le soleil caressait la joue de l’elfe et ses pupilles scintillaient tel le lac et ses éclats de ciel. Sans parler de son sourire qui réchauffait le cœur engourdi de Dertar. Une chorale d’oiseaux appuyait de loin les propos de la jeune femme et un autre roucoulait sur un arbre tout près – À qui chantait-il ainsi ses amours? Le centaure se tenait très droit, comme il en avait coutume, écoutant Lolia avec une attention que même l’excessive beauté du paysage n’aurait su détourner. Une douce brise, renforcée par l’étendue d’eau, soulevait quelques mèches dorées des cheveux de l’elfe qui soulignaient son visage radieux. Il n’aurait jamais douté de la parole de cette femme; C’est de lui-même dont il doutait. Et s’il faisait échouer toute cette expédition? S’il était la cause de la mort de l’elfe, comme dans son cauchemar? Il ne se le pardonnerait jamais. Tout comme il ne saurait oublier ce jour horrible où il mit fin à la vie de son cousin et à la sienne par le fait même, métaphoriquement. Mais supporterait-il un autre fardeau de cette envergure? En avait-il l’étoffe? Non, ce n’était pas l’honnêteté de Lolia qu’il incriminait, mais bien sa propre capacité à contribuer à la vie de groupe, après toutes ces années d’ermitage. Et puis ce n’était qu’un survivant, pas un combattant comme le laissait supposer sa musculature prononcée.

Le cinquième cycle de Kandíntia dans la cité des elfes. Juste avant la période du grand froid. Le centaure avait toujours trouvé étrange cette façon d’attribuer des noms aux jours, mois et périodes, qui se répétaient à chaque année, comme si la vie n’était pas en constante progression, mais plutôt un cycle à recommencer éternellement. Il ne connaissait d’ailleurs pas précisément la date actuelle, mais il avait l’intention de se diriger vers Ardamir sans attendre, peu importait s’il arrivait au point de rendez-vous deux mois à l’avance. De toute façon, où irait-il d’autre? Il trouverait nécessairement une occupation durant ce temps et peut-être même qu’il la rencontrerait… celle à qui il aurait donné sa vie sans hésiter, six ans auparavant. Cette simple idée fit cesser son cœur de battre quelques secondes. S’il devait avoir honte, c’était bien devant elle. Alors que lui dirait-il s’il la croisait dans la contrée des elfes? Que cette pensée cesse; Il aurait amplement le temps d’y songer pendant son cheminement, mais pour le moment, il devait réserver toutes ses pensées pour son interlocutrice.

-Ainsi soit-il. J’ai été plus qu’enchanté de faire votre connaissance… Leïlia…Vous avez éclairé le chemin d’un centaure égaré.

Lorsque la jeune femme s’était présentée, la veille, le centaure n’avait pas été suffisamment attentif pour bien comprendre son nom. Il avait ensuite été trop timide pour le lui redemander. En ce jour, il espérait ne pas se tromper en répétant le prénom qu’il avait cru entendre. C’est pourquoi il ferma ses paupières en le prononçant à voix basse. Il fit ensuite une courte révérence en guise de remerciement et dut subséquemment rejeter sa crinière vers l’arrière d’un bref mouvement de la tête.

Il était déjà impatient de la revoir. Les paysages semblaient plus enchanteurs en sa présence. Elle lui rappelait la joie de faire partie d’une tribu, d’un groupe uni… Il la regarderait partir avec un douloureux pincement au cœur. Il ne lui resterait que des promesses de retrouvailles, mais l’espoir était bien mieux que ce qu’il avait avant sa rencontre avec elle. Il ne vivrait maintenant plus que pour cette aventure en Omërie, mais au moins il vivrait pour une raison. Que serait la jeune pousse sans l’espoir qu’un jour elle puisse percer la canopée et y découvrir l’éclat du soleil? Que serait le ruisseau sans la rivière? Sa solitude le ferait moins souffrir à présent, il en était certain.

Il attendrait le départ de l’elfe pour se laver, nettoyer ses bandelettes ensanglantées et continuer son chemin vers l’horizon. Il fallait que ce soit elle qui parte la première, car lui n’avait pas le courage de renoncer à sa compagnie. Il déposa son arc, son carquois et sa bourse sur le sol, près de l’eau, ne gardant que sa dague à la ceinture.

[HRP: Tu peux écrire un autre message ou laisser celui-ci comme rp final. C'est comme tu veux!]

Dertar parut tracassé durant un bref instant, laissant Lolia perplexe, croyant avec une légère déception qu'il avait décidé de renoncer. Mais tel ne fut pas le cas. Le calme revint sur le visage du centaure, aussi soudainement qu'il ne l'avait quitté.

- Ainsi soit-il. J’ai été plus qu’enchanté de faire votre connaissance… Leïlia…Vous avez éclairé le chemin d’un centaure égaré.

Lolia sourit d'un air amusé. Un court silence gêné s'installa durant un instant, illustrant la tristesse qu'ils avaient de se séparer. Mais la vie les appelait ailleurs pour le moment. Ils avaient chacun leur route à faire et leur chemins à préparer avant de pouvoir se retrouver.

- De même Dertar. Je vivrais cette période dans l'impatience de vous revoir.

Elle devait avouer qu'elle avait particulièrement apprécié la compagnie du centaure. Il était certes dommage que le pauvre ait du subir son horrible blessure mais la gaieté avait été présente.
Lolia ne résista pas à son envie et se rapprocha alors du centaure pour déposer un baiser sur sa joue. Elle sourit, un peu gênée de son geste et reprit en riant :

- Au fait, c'est Lolia.

Elle n'avait d'abord pas voulu le reprendra, histoire de ne pas le mettre mal à l'aise. Mais connaitre son nom lui serait probablement utile pour la retrouver en Ardamir.
La jeune elfe ramassa ses affaire, ajustant ses armes dans son dos, et s'éloigna de quelques pas avant de se retourner.

- A très bientôt mon ami.

Elle fit à nouveau volte-face, sans attendre de réponse et s'en alla d'un pas rapide avant de disparaître derrière la ligne des premiers arbres.

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