Cela faisait quelques heures que Kemya était assis sur le Rocher du Clair de Lune, sous sa forme animale. Elle contemplait la pleine sous ses pattes, avec une certaine mélancolie. C' était une nuit calme... La lune se cachait derrière les nuages, projetant de minces reflets sur la terre de Thaodia. Tout aurait pu être parfait, sans les incidents des derniers jours. Les Crocs-Noirs n' étaient jamais tombés aussi bas...

Doucement, elle releva la tête et posa son regard sur la lune. Cette lune qu'elle chérissait tant. La jeune Lycanne ferma doucement ses paupières... et hurla de toute ses forces. Elle hurla pour sa meute, pour son chef... pour son frère. La pensée de cet être qu'elle avait perdu il y a huit ans, lui asséna un coup. Elle se laissa tomber à terre, pour ne pas se relever. Elle était seul, sans plus personne sur qui compter. Depuis longtemps, elle avait fuit se sentiment. Mais désormais, alors que sa meute sombrait dans le désespoir, elle se rendait compte que la solitude faisait parti de sa vie... à tout jamais. Des larmes glissèrent sur ses joues, elle avait apris à ne pas pleurer, mais la c'était trop. Elle ne chercha pas à les essuyer, mais elle en avait honte. Honte d'être aussi faible. Elle plongea doucement dans un sommeil habité par des images de mort.

Lorsqu'elle se réveilla, il faisait plus sombre. La lune avait complètement disparu. Les nuages étaient d'un noir d'encre, des éclairs zébrait le ciel et le tonnerre faisait rage. Kemya se remit tranquillement sur ses pattes. Elle repensa aux larmes qu'elle avait versée avant de s'endormir. Elle se promit dans son fort intèrieur de ne plus pleurer. Plus jamais. Et regarda, fascinée, la colère des cieux.

Kemya avait perçu la présence du loup avant que celui ci ne s'adresse à elle. Elle avait entendu des pas discret et légers, signe que le nouvel arrivant était en fait une louve. Puis elle avait sentit son odeur et sa certitude s'était confirmée. Une louve à la chevelure de feu s'avança et s'adressa à elle d'une voix sûre :

-Pourquoi avoir poussé un hurlement si triste ?

Sur ces mots, elle s’accroupit aux côtés de Kemya. Ses yeux luisaient comme deux perles dans la nuit. Et, s'en crier gare, elle passa doucement sa main dans le pelage brun de Kemya. La jeune Lycanne frissonna ; personne ne l'avait jamais caressé. Personne. Sûrement parce qu'elle n'aimait pas cela, et, si elle avait été dans son état normal, la lycanne aurait provoquée l'étrangère. Mais, en des moments aussi noir que celui qu'elle traversait, le cœur ne lui en disait pas. Elle détourna son regard émeraude du ciel pour le planter dans celui de la louve. Elle la regarda quelques instants, appréciant les caresses qu’elle lui prodiguait.

-La joie a la vie dure avec moi... dit-elle d'un ton las. Elle l'a toujours eu...

Elle repensa à cette nuit, où tout avait basculé. A cette nuit, où son destin avait était scellait. Un destin de solitude et de souffrance... Kemya remarqua que la louve fixait le ciel orageux. Elle lut dans ses yeux que ce temps houleux lui rappelait à elle aussi quelque chose. La lycanne ne put s’empêchait de se dire qu'il existait des gens comme elle sur cette terre. Des gens comme la louve qui se tenait à côté d'elle..

Kemya ferma les paupières, appréciant, le doux parfum des arbres et la brise légère jouant dans son pelage brun. Elle sentit de nouveau les caresses de la louve et une phrase parvint à ses oreilles.

- La vie est dure avec nous.

Kemya regarda la louve, deux sillons salés coulaient le long de ses joues. Avant que l'inconnue n'est pu enfouir son visage dans sa fourrure, Kemya se leva. Elle parcourut la distance qui la séparait du bord en quelques secondes. La jeune femme regarda le vide sous ses pattes. Elle releva ensuite la tête et planta son regard sur l'horizon, défiant les éclairs qui zébrait le ciel. Jamais la lycanne n'avait assistée à une telle manifestation de la nature. La chaleur étouffante et la fine pluie étaient un parfait contraste en cette nuit d'orage. Quant au ciel, il était d'une splendeur rarement vue en Thaodia. Kemya baissa la tête. Que de mensonges... Comment apprécier pareil spectacle, alors que la même fièvre folle vous ronge ? Kemya était comme cet orage... Une douceur infinie, qui cache une rage sans nom. A la pensée de cette folie, ses yeux se révulsèrent. La jeune femme les ferma aussitôt. Elle griffa par mégarde le sol et un son strident se fit entendre. Kemya rouvrit les yeux. Ses yeux qui avait longtemps fait sa fierté. Depuis quelques temps, ils n'étaient plus que deux billes émeraudes, ternes... Sans brillance... Sans vie.

La jeune lycanne se retourna. Elle regarda la louve. Des larmes coulaient sur ses joues, preuve que ses paroles l'avait touché. Elle revint vers l'inconnue et se posa à quelques mètres d'elle.

- Puis- je savoir à qui ai-je l'honneur ?

Kemya n'était d'habitude pas aussi clémente avec les étrangers. Mais à quoi bon. Pour une fois que quelqu'un semblait comme elle.