Les ténèbres étaient épaisses, lourdes, humides. La nuit noire. Le ciel vide.
La forêt était relativement bruyante par ici (un peu à l’image des habitants de cette contrée). Les oiseaux nocturnes planaient dans les branchages, alors que les petites créatures terrestres galopaient dans les hautes herbes pour échapper à leurs serres, pendant qu’à un autre endroit, un renard tentait de débusquer sa proie. Craquements de branches, battements d’ailes et hululements s’entremêlaient dans cette atmosphère sombre, mais habituelle. Je n’étais pas en chasse cette nuit. C’était peut-être pour cela que les animaux vaquaient à leurs occupations en ne jetant qu’un bref coup d’œil à mon passage (je me demande bien pourquoi...). Heureusement pour eux, j’avais déjà trouvé de quoi me rassasier. Et maintenant que l’aube approchait, je devais me mettre en quête d’autre chose, également nécessaire à ma survie ; un endroit sombre, où les rayons du Soleil ne m’atteindraient pas.

Je ne connaissais pas très bien les environs, mais je pensais me diriger vers les mines. C’était l’endroit idéal pour passer la journée, du moment que la mine dans laquelle j’entrais n’était pas fréquentée. Je doutais que les nains soient très hospitaliers avec un vampire, et lorsque le Soleil brillait, j’étais bien moins apte à me défendre que lorsque la nuit régnait. Alors autant éviter d’être découpé en rondelles pendant mon sommeil. Encore fallait-il la trouver, cette mine. Cela faisait des heures que j’avançais dans la montagne sans trouver de refuge, et depuis un certain moment, une brume épaisse avait envahi les lieux. Et l’aube serait bientôt là... Et moi, plus du tout. Ou du moins, sous forme de petit tas de cendres volatiles. Ce n’était pas la première fois que je me retrouvais dans une situation pareille, mais jusque-là, j’avais toujours réussi à courir plus vite que le lever du Soleil, et à me terrer dans les entrailles sombres d’une grotte ou d’un bâtiment abandonné. Mais chacun de ces scénarios pouvait bien être le dernier. Je ne pouvais pas me permettre d’avoir trop de retard. Je le savais. Mais aucune raison de paniquer, il me restait quelques minutes.

... Bon, d’accord ; j’étais sur la corde raide.

Oh, peut-être pas... Je pouvais maintenant apercevoir un gigantesque amas rocheux entre les arbres, devant moi. Je l'avais remarqué bien tard. Foutue brume.
J’accélérai le pas en direction de ce qui, j’en étais certain, était une mine. Le tout était de me frayer un chemin à travers cette nappe blanche afin de trouver l'entrée. Je devais faire vite ; déjà, les premières lueurs de l’aube teintaient l’atmosphère d’une couleur dorée aussi significative que menaçante. Durant ma course vers la mine, je rabattis la capuche de ma veste noire sur ma tête, masquant en grande partie mon visage afin d’empêcher la lumière de m’aveugler ; bien qu'elle soit encore extrêmement faible, j’en ressentais la brûlure. J’ignorais si cette sensation était psychologique, ou bien réelle. Plus le jour était proche, moins je distinguais cette mince limite. Et bien plus que l’idée de mourir sous les rayons brûlants, cette idée me terrorisait.

Je bondis de rocher en rocher le plus vite possible, toujours dans une course débridée.
Alors qu’un étrange malaise m’envahissait, que mon corps me paraissait de plus en plus lourd et douloureux, j’aperçus enfin l’entrée de la mine après avoir heurté des rochers et trébuché maintes et maintes fois à cause de la brume qui masquait toute visibilité. Ce ne fut pas le soulagement d'avoir trouvé un abri qui me fit ralentir ; je maintins ma cadence effrénée jusqu’à ne plus percevoir la lumière grandissante du jour derrière moi, jusqu'à ne plus ressentir l'humidité de l'extérieur. Seulement à ce moment-là, haletant avec nervosité, je m’arrêtai, m’autorisant à me laisser glisser jusqu’au sol, dos contre la paroi de la mine, plus ou moins en m’effondrant. J’étais dans l’obscurité. Je n’avais plus rien à craindre.

Du moins, c’était ce que j’avais osé espérer. Car je sus bien vite que je n’étais pas seul.
Des bruits de pas résonnaient faiblement dans les galeries. Je découvris brièvement l’extrémité de mes canines alors qu’un grognement ténu faisait doucement vibrer ma gorge. Un réflexe du à la nervosité de croiser quelqu’un d’autre dans ces lieux (et dans ce cas j’étais à peu près sûr qu’il s’agirait d’un nain), mais aussi probablement du à l’influence que l’aube avait sur moi. Même en étant à l’abri du jour, il semait la confusion en moi. Je ne savais pas vraiment si ce que je voyais, ce que j’entendais, ce que je sentais, était une hallucination ou bien la réalité. J’avais du mal de faire la différence, et seul le sens du toucher m’était à peu près fidèle. En clair, quelqu’un d’aussi bruyant et bourru qu’un nain aurait peut-être pu s’approcher de moi sans que je le remarque, trompé par mes sens désorientés. Et le temps que je sente la douleur de sa hache dans mon crâne, il serait évidemment trop tard.

Je décidai de me lever et de m’enfoncer plus profondément dans la mine, tentant de me calmer et de me concentrer pour savoir où se trouvait cette personne -si elle était vraiment là. Et également de qui il s'agissait. Sans savoir pourquoi, j'avais le pressentiment que ce n'était pas un nain que j'allais croiser. Bonne ou mauvaise nouvelle ? Je n'en savais rien. Quoi qu'il en soit, j'essayais de suivre cette personne. Est-ce que j'étais sur la bonne voie ou complètement à côté de la plaque ? Etais-je en train de la suivre de près, ou de loin ? Je n'en étais pas trop sûr. Les galeries étaient innombrables, se croisaient, s’entrecroisaient en un inquiétant labyrinthe dans lequel je ne pouvais pas m’orienter avec certitude. En revanche, la grande silhouette que j’aperçus, au bout d'un moment, au croisement de deux galeries, était bien là. Du moins, j’en avais la nette impression. En fait, j'avais le sentiment d'avoir les idées plus claires maintenant que mes yeux étaient focalisés sur la silhouette. Cela voulait-il dire qu'elle était réelle, ou était-ce l'inverse ?

Je stoppai net, ne sachant pas comment réagir.

La silhouette qui me faisait face portait une torche.
C’était une raison supplémentaire de m’en méfier ; mieux valait pour moi éviter que cette personne se sente menacée, et qu’elle me balance la torche enflammée à la figure. M’y être frotté une fois me suffisait. De plus, le moment était assez mal choisi pour me lancer dans un affrontement ; je me sentais fatigué, comme drainé par l’aube qui se levait. Heureusement, j’avais réussi à m’en abriter à temps. Mais maintenant, voilà qu’une autre menace, bien que potentielle, me guettait, et elle était juste en face de moi. D’ailleurs, je m’aperçus qu’il s’agissait d’une jeune femme. Une elfe, plus précisément ; impossible de confondre avec ses oreilles pointues qui dépassaient de ses longs cheveux blonds. Au moins, ce n’était pas un nain (ah ça je pouvais l’affirmer, elle n’avait pas de barbe). Ceux-ci étaient tellement reconnus pour la qualité de leur accueil que je n’avais aucune envie d’en croiser un maintenant, pour la simple et bonne raison que je ne pourrais pas me défendre efficacement.

Après un instant d’immobilité, et quelques mots prononcés par l’elfe, je fis encore quelques pas prudents en avant.
Visiblement, elle ne comptait pas en faire autant, et ça m’allait parfaitement. A mesure que je m’approchais, je pouvais sentir la chaleur de la torche sur ma peau, ainsi que l’odeur qu’elle dégageait. Je restai assez loin pour que le feu ne soit pas un danger, mais assez proche pour pouvoir échanger quelques mots avec la jeune elfe sans avoir à élever la voix.

« Je m’appelle Raven », répondis-je sans faire preuve de plus d’originalité que mon interlocutrice, ni de plus d’hostilité d’ailleurs.

Finalement, l’elfe n’avait pas l’air de chercher les ennuis. Tant mieux.
Que faisait-elle ici alors ? Contrairement à moi, elle n’avait pas besoin de disparaître lorsque l’aube se pointait. De plus, elle se trouvait sur les terres des nains, une race qui ne portait pas les elfes en très haute estime. La présence d’elfes et de nains au même endroit incluait un litige presque dans tous les cas. Qui plus est, Lolia était entrée dans une mine. Il n’y avait plus qu’à espérer que celle-ci soit abandonnée, et qu’aucun nain ne traine dans les parages. C’était aussi ce que j’espérais.

« Si je puis me permettre, qu’est-ce qu’une elfe peut bien faire en Angaïla, qui plus est dans une mine ? Je ne pense pas que vous aimeriez croiser les habitants des lieux. »

Je disais ça pour plusieurs raisons ; à cause de l’odeur (je ne sais pas vous mais moi je n’apprécie pas particulièrement les relents de bière que les nains trainent avec eux), et surtout de leur mauvais caractère. Les nains n’étaient pas très connus pour l’accueil chaleureux qu’ils faisaient aux étrangers. Remarque, les vampires n’étaient pas mieux. Ou au contraire, ils étaient capable de fournir un bon accueil, mais il fallait toujours se méfier d’un bon accueil chez les vampires, surtout si on était susceptible de leur servir de repas. En y repensant, j’espérais que Lolia n’allait pas se mettre cette idée dans la tête. J'étais soulagé parce qu'elle ne semblait pas avoir de mauvaises intentions, mais le fait qu'elle me prenne directement pour un ennemi ne me plairait pas.

Ombre parmi les ombres, la silhouette s'avança enfin, de quelques pas. Lolia put alors constater de l'apparence espiègle du garçon qui se trouvait en face d'elle. En réalité, il lui fut très difficile de savoir si elle devait le nommer garçon ou homme. Certes, son apparence était jeune, son corps reflétait l'enfance mais quelque chose dans on regard et dans son comportement trahissait cette couverture. Ses yeux bordeaux montraient trop son appartenance à la race vampirique et son regard était empreint d'une maturité trop grande par rapport à l'âge que son corps exhibait. Lolia eut d'abord un préjugé peu accueillant. Toutes ses rencontres avec des vampires avaient mal tournée. Le premier avait essayer de l’enrôler dans une secte d'assassins avant de torturer une femme devant elle et de finalement essayer de l'enlever, en vain bien heureusement. Le second l'avait volontairement perdue dans la cité d'Ambroisie. Et le troisième avait joué sa vie à pile ou face. Elle n'avait que moyennement envie de se frotter à nouveau à un vampire. Mais, étrangement, elle se ravisa. Après tout, les vampires n'étaient pas les seuls avec qui elle avait eu des démêles. Et rien ne prouvait que, parce que trois vampires avaient attenté à sa vie, les autres ferait de même. Elle opta donc pour une neutralité des propos.

- Je m’appelle Raven.

Il laissa une petite pause, comme absorbée par ce qu'il devait dire. "Raven" ; la jeune elfe se délecta de la saveur de ce nom. Il lui en rappelait un autre... "Ravira" ? "Riven" ? Elle ne parvenait pas à le retrouver mais n'était-ce pas le nom de se soeur soi-disant morte de chagrin à cause des trop longues années de sa vie ? Il semblait que si. Mais tout cela est une autre histoire.

Elle voulut prendre la parole, engager la tension à diminuer. Mais Raven la prit de court :

- Si je puis me permettre, qu’est-ce qu’une elfe peut bien faire en Angaïla, qui plus est dans une mine ? Je ne pense pas que vous aimeriez croiser les habitants des lieux.

Lolia songea à ces paroles. Il est vrai qu'elle n'avait pas particulièrement envie de croiser de nains. Pas qu'elle ne les aime pas, elle n'en avait jamais rencontré, mais plus parce qu'eux ne l'aimerait pas. Il était bien connu que cette guerre ancestrale entre les elfes et les nains ne rimait plus à rien. Néanmoins, les traditions restaient ancrées avec violence dans l'esprit des contemporains. Déjà que les nains faisaient mauvais coeur à ceux qu'ils croisaient dans les mines, mais si en plus il s'agissait d'une elfe seule...
Mais Lolia ne voulait pas s'inquiéter pour ça. Même si les dispositifs de la mine laissait penser qu'elle n'était pas à l'abandon, elle n'avait encore croisé aucun signe de vie depuis des heures. Les nains devaient être bien plus bas sous la terre.
Elle hésita un instant sur la technique à observer. Pouvait-elle se confier impunément à cet inconnu. Il est vrai qu'elle commençait à remettre en question l’intérêt qu'elle avait à se balader ici. Néanmoins, la brume en dehors ramenait sa liberté de mouvement à pas grand chose.

- On peut parler de circonstances malencontreuses. La brume est trop épaisse dehors, je me suis simplement perdue. Mais tu as surement raison, il est peut-être temps de refaire une tentative.

A peine eut-elle finit sa phrase qu'un bruit sourd résonna derrière elle, la faisant sursauter. L'elfe en lâcha sa torche qui roula au sol et s'éteignit, la rendant à nouveau aveugle. Les elfes avaient beau avoir une vue excellente, même dans l'obscurité, le noir complet leur était impénétrable.

- Eh mince !

Elle n'avait pu retenir se petit chuchotement de désespoir mais elle évita d'en faire plus. Elle ne voulait pas se montrer en état de faiblesse. Après tout, elle ne savait rien de ce Raven et préférait donc restée maîtresse de la situation, du moins en partie.

- Tu as entendu ça ? On aurait dit un coup de pioche.

L’espace d’un instant, l’hésitation que marqua Lolia me laissa penser qu’elle n’avait pas l’intention de me répondre. C’était son droit, après tout, comment ne pas être méfiant devant un vampire ? Et surtout ce n’était pas mes affaires. Cependant, l’elfe ne sembla pas en arriver là, puisqu’elle finit par prendre la parole.
La brume dehors ? En y repensant, il était vrai que la visibilité était quasi nulle à l’extérieur. Seulement, j’avais été trop occupé à courir afin de me mettre à l’abris pour m’attarder sur le temps qu’il faisait. En tous cas, j’espérais que cette brume aurait disparue lorsque je sortirais de ces galeries. Enfin, je verrais ça plus tard. Pour le moment, il m’était tout simplement inenvisageable de sortir.
Le bruit me rendit immédiatement plus attentif. Lolia aussi l’avait entendu. D’ailleurs, la surprise lui fit lâcher sa torche, qui s’éteignit. L’obscurité reprit alors ses droits dans la galerie. Je réalisai alors que l’elfe ne se dirigerait maintenant qu’avec peine dans les ténèbres. Elle était certainement capable de voir dans le noir, mais pas dans le noir total.

« Peut-être les propriétaires des lieux », supposai-je avant d’esquisser un sourire qui se fit aussi sentir dans ma voix. « Je pense qu’il est très important pour notre santé et notre avenir qu’on ne traine pas plus longtemps ici. »

J’hésitai un instant, constatant que j’étais le seul à pouvoir y voir quelque chose dans cet endroit ; j’avais une vision nocturne plus performante. J’aurais tout simplement pu m’en servir pour m’enfoncer plus profondément dans les galeries, le plus loin possible de la lumière du jour, le plus loin possible de toute issue jusqu’à ce que la nuit revienne, mais je n’en fis rien. A vrai dire, au moment actuel, je n’y pensais pas.

« Je vais retrouver la sortie », déclarai-je. « Laisse tomber la torche. »

J’avais employé le tutoiement sans m’en apercevoir.
Je m’approchai sans chercher à masquer ma présence à l’ouïe fine de l’elfe, afin qu’elle m’entende tout de même avancer vers elle, et afin de ne pas la surprendre. Je me saisis alors de l’une de ses manches et la tirai doucement dans la bonne direction, lui faisant comprendre que je voulais qu’elle me suive. J'allais la guider, si elle n'y voyait pas d'inconvénient, mais j'espérais aussi pouvoir compter sur son ouïe. Le bruit que nous avions entendu laissait supposer que nous n'étions pas si seuls que ça.