Il faisait nuit noire depuis une bonne heure déjà lorsque Neïkaïr sortit de la combe où elle s'était enfouie pendant la journée. La jeune femme s'étira longuement, faisant jouer les articulations de son corps. Les divers bruits de la forêt finirent par la réveiller entièrement, et un sourire éclaira son visage fin et pâle. Elle se dirigea vers un point d'eau, qu'elle avait repéré la veille, pour se rafraîchir. Ses pieds nus foulèrent le sol boueux jusqu'au ruisseau. Elle s'agenouilla sur la rive, plongea ses mains en coupole dans l'eau claire et les ramena à son visage. La Vampire ne ressentit qu'à peine le picotement qui vint titiller ses joues à ce moment là. Elle se releva, et revint tranquillement vers l'excavation où elle s'était reposée.

La jeune femme errait depuis plusieurs jours entre les terres vampiriques et les terres elfiques. Elle faisait le voyage toutes les semaines, traversant la frontière plusieurs fois par jour. Cela en devenait harassant de fatigue, et elle se languissait des voyages qu'elle avait effectué auparavant. Tout cela lui manquait, ce sentiment de liberté qui lui permettait de traverser n'importe quelle territoire comme bon lui semblait, de découvrir ce monde où elle avait vu le jour. Désormais, elle se contentait de sa terre mère et de celle qui l'avait élevé, pour des raisons dont elle n'avait pas même conscience.

Nëikaïr resserra le lacet de son corset. Elle était prête pour une nouvelle nuit de marche. Vêtue de vêtements de cuir et de tissus, ses cheveux relevés en une queue de cheval, elle cala un arc récemment acheté entre ses omoplates, attacha son arbalète à sa ceinture et cacha son poignard dans sa botte. Le reste de ses armes ne lui avait pas paru peine d'être emporter. Un dernier regard vers la Lune lui insuffla le courage dont elle avait besoin pour repartir, puis, elle se mit en marche.

Le trajet ne fut pas une surprise pour la jeune Vampire, elle l'avait emprunté tellement de fois qu'il en était devenu habituel. Elle connaissait chaque arbre, chaque sentier à suivre, elle était sûre de ne pas se tromper. Pourtant, cette nuit là, le destin parut vouloir lui offrir plus que sa routine habituelle. Elle repéra les traces des Lycans après avoir franchit la frontière elfique. Les empruntes lui avait permis de découvrir que c'était elle qu'ils avaient pris en chasse. Pourquoi ? Que venaient-ils faire aussi loin de leur territoire ? Elle n'eut pas le temps de répondre à ces questions, des hurlements bestiaux lui parvinrent à quelques mètres d'elle. Une seule minute lui suffit pour établir la situation. Elle ne pouvait pas se battre. Cela faisait trop longtemps qu'elle n'avait pas bu de sang frais, et ingérer celui des Lycans ne lui ferait aucun bien. La seul solution était la fuite. Neïkaïr ne se fit pas prier. Elle se mit à courir aussi vite que ses jambes le lui permettaient, s'enfonçant un peu plus dans la terre qui l'avait vu naître, la terre elfique. Au début, elle s'était cru sortit d'affaire, les bruits de course s'étaient amoindris, les souffles haletants s'étaient tus... Mais sa mauvaise connaissance du terrain lui avait fait perdre quelques secondes précieuses. En un instant, ils furent sur elle. La Vampire s'arrêta d'un coup. Elle tournait le dos à ses assaillants et le premier coup qu'on lui porta lui ouvrit une entaille de feu sur son flanc droit. Elle émit un hoquet sous l'impact et tomba à la renverse. La jeune femme méprisa sa faiblesse passagère et se releva d'un bond. Elle sortit son poignard, et se jeta sur le premier Lycan.

Cela faisait un moment que Neïkaïr se battait contre les loups. Elle avait pu en compter quatre. La vue du sang, ce breuvage qui l'enivrait et lui faisait perdre la force qui l'habitait, donnait à ses coups la lenteur d'un débutant. Elle n'avait pas blessé un seul de ses ennemis et sentait venir le moment où elle tomberait à terre, évanouie. Que feraient-ils d'elle ensuite ? C'est à ce moment que les buissons se fendirent pour laisser passer un homme fin et musclé. C'est à ce moment que Neïkaïr perdit connaissance.

~

- Eh... Réveille toi...

La jeune femme ouvrit les yeux. Son visage était caché par ses épais cheveux noirs. Elle voulut se relever, mais s'en empêcha. Elle n'était pas seule. Il y avait quelqu'un près d'elle, tous ses sens le lui criaient. Elle se jeta d'un bond sur l'inconnu, l'obligeant à se plaquer au sol. Ses jambes se resserrèrent autour de sa taille alors que ses mains poisseuses, recouvertes de sang, enserraient fébrilement sa gorge. Un souffle rauque s'échappait de la gorge de Neïkaïr et ses yeux étaient d'un rouge plus vif que la normal. Il s'en était fallu de peu que la bête ne s'échappe. Son regard se posa sur l'inconnu. Elle l'observa un instant, mais son visage ne lui revenait pas. Était- il possible qu'il soit l'homme venu à son secours ? Sa prise se resserra, étranglant un peu plus l'étranger. Non, pas un étranger. Un elfe ! C'était un elfe ! Pour masquer sa décontenance, elle lui cracha au visage :

- Qui t'es toi ? Et d'où tu sors ? Tu sais pas ce que tu risques en sortant seul la nuit, l'elfe.

Le souffle lui manquait. Neïkaïr sentait ses forces l'abandonner, mais elle luttait. Elle luttait pour son amour propre. Ne pas montrer sa faiblesse, la masquer autant qu'elle le pouvait, oublier les étoiles qui dansaient devant ses yeux. Elle aurait voulu s'effondrer, dormir, manger... Non, boire. Sous ses mains, elle sentait l'artère palpiter. Une jugulaire qui l'appelait. Du sang facile. Mais elle ne pouvait pas. C'était un elfe. Ils avaient les mêmes origines. Elle ne devait pas. Sa raison vacilla et elle faillit perdre pied. La jeune femme se reprit, secoua la tête comme pour sortir de cette torpeur.

- Si j'prenais pas de risque, tu serais morte. Tu es sur les terres elfiques, des terres civilisées, insista-t-il sur ce mot. Et libres. 

Il avait parlé, Neïkaïr ne s'en était même pas rendu compte. Elle desserra son étreinte, tenta de reprendre ses esprits. Libre. Le seul mot capable de donner un sens à une phrase. L'elfe avait raison, que faisait- elle ici ? Tout était sa faute. Si elle ne s'était pas aventurer sur les terres elfiques, les Lycans, ennemis ancestraux des Vampires, ne l'aurait pas suivi jusqu'ici. Jamais Neïkaïr ne s'était remise ainsi en question. La faim, sans doute... Le corps de l'elfe tressaillit une nouvelle fois, libérant la jeune femme de ces pensées.

- Je ne te veux pas de mal. Lâche-moi! Tu vas perdre le peu de forces qui te restent pour me tuer? Ces lycans là sont morts mais d'autres viendront bientôt. Ils sont marqués, ils appartiennent à une meute.

Le regard de Neïkaïr croisa celui de l'homme. Elle n'avait pas pris le temps de le détailler. Bien bâti, il possédait les caractéristiques physiques des elfes : un corps svelte, fin et musclé. Elle pouvait apercevoir, entre les lambeaux de ses vêtements, de nombreux tatouages. Un frisson lui parcourut l'échine quand elle dut admettre qu'il était plutôt beau garçon. Lorsqu'elle prit la parole, Neïkaïr parla d'une voix dénuée d'émotion, tentant au mieux de camoufler son désarroi.

- Saches que je vais où le vent me porte. Je suis libre moi aussi, et je décide, de ma propre volonté, ce que je fais et où je vais. Je... Je...

Plus aucun son ne sortit de sa bouche, à part un gémissement dû à la surprise. Les yeux de la jeune femme se révulsèrent. Elle tomba aux côtés de l'elfe, voulut s’agripper à lui pour se relever, elle n'en eut pas la force. La torpeur était en elle, elle la possédait, poussant sa soif à bout, au point de lui faire perdre tout notion. Ses yeux se voilèrent, elle sombra, et ne bougea plus.

- Pardonnes- moi...

Une plainte résonna dans un néant total, comme mille échos se répercutant sur autant de falaise. C'était la voix d'une femme, mélancolique et douce, qui se perdit dans les bas fond d'un vide atroce, une vacuité intérieur, un endroit que personne ne pourrait jamais atteindre, hormis la propriétaire de cette voix dolente. Une excuse faite à tous ceux qu'elle avait déçu. A tout le monde, et à personne en même temps. A un père, en particulier. Cette pensée fit naître un nouvel espoir. Deux billes rouges s'illuminèrent dans la noirceur de la pièce où reposait le corps allongé. Neïkaïr se réveilla, et avec elle l'horrible soif.

~

Lorsque la jeune vampire ce redressa sur son lit, l'air n'emplit pas ses poumons comme l'aurait fait un corps humain. Une brise légère caressa sa joue, joua dans ses cheveux, pour se perdre sous son drap. Sûrement une fenêtre ouverte. Elle fit craquer les articulations de ses mains, gestes habituels qui la rassurait, et huma l'air avec un regard vitreux. Ses sens affûtés, décuplés par la puissance que lui procurait le statut de vampire, reconnurent l'odeur acre et délicieuse du sang. L'effluve imprégna son âme de pensée malsaine. Elle se jeta hors du lit, avec la vivacité d'un serpent. Les jambes légèrement pliés et les bras écartés, elle ressemblait à un oiseau de proie près à l’envol. Ses yeux se rivèrent sur la bassine au pied du lit et une lueur sadique traversa ses pupilles carmins, aussi furtive qu'un battement de cil. Machine à tuer, bête de sang, pour mort atroce.

La bassine se vida en quelques minutes. Sang animal. Pas humain. Neïkaïr haussa les épaules en se relevant. Cela lui convenait, tant qu'elle recouvrait ses forces. Du revers de sa manche, elle essuya le fin filet de sang qui coulait sur ses lèvres. Un rapide coup d’œil dans la pièce lui permit d'étudier les lieux. Une chambre, meublée sobrement. Un lit et une chaise. Elle s'approcha de cette dernière, où étaient entassées ses affaires, et effleura du bout des doigts sa lame. Son regard se tourna vers la fenêtre, elle l’atteignit en quelques pas rapides et calculés. Depuis combien de temps était- elle ici ?Deux jours ? Trois ? Peut être plus. Et d'ailleurs, où était- elle ? En ville. Tellement d'odeurs parvenaient à ses narines, tellement qu'elle n'arrivait pas à les distinguer les unes des autres. Sa première hypothèse était qu'elle se trouvait toujours en territoire elfique, mais elle ne préférait pas juger trop vite. Le pire restait la ville.

Nëikaïr passa la porte de sa chambre, curieuse. La maison paraissait grande, bien meublée, mieux que la chambre en tout cas. Il s'en dégageait une agréable odeur de bois, de métaux... et de vie. Elle traversa un salon, sans y trouver personne. La vampire s'apprêtait à rebrousser chemin, lorsque son regard tomba sur une porte brune. Elle s'en approcha, posa son oreille contre le bois frais pour déceler la moindre passerelle de bruit. Rien. Neïkaïr se mordit la lèvre. Devait- elle... ? Elle entra, d'un pas glissant, silencieux, audible seulement pour celui qui sait écouter. Une chambre. Différente de celle où elle s'était trouvée. Un lit était collé au mur, dont les draps se soulevait au rythme de la respiration tranquille d'un corps endormi. Neïkaïr s'approcha. Tout près. Elle écarta légèrement les draps et découvrit une jeune fille, roulée en boule, qui sommeillait sereinement. Ses oreilles pointues et son odeur témoignait de sa race. C'était une elfe. Comme celui qui l'avait aidé. La vampire s'abaissa jusqu'à frôler le cou de la fille du bout de ses lèvres. Un cou chaud et blanc. Irrésistible. Ses lèvres se retroussèrent, dévoilant des canines longues et blanches. Toute cette vitalité qui émanait de ce petit corps frêle, cette chance qu'avait Neïkaïr de tenir le fil d'une vie entre ses mains, lui montait à la tête. Mordre la partie de chair au niveau de la nuque, boire le sang frais et jeune par simple gourmandise... Oui, irrésistible. Neïkaïr se redressa vivement. Plus conscience de ses faits et gestes. Elle devait s'en aller, et tout de suite. Tout en elle le lui criait alors que son instinct lui demandait un peu de sang frais. Elle se détourna. Partir. Sortir de la ville. Rejoindre Màvreah et continuer une vie d'errance. Ne pas mettre en danger ceux qui lui étaient venus en aide. La jeune femme ouvrit l'armoire qui se trouvait dans la chambre. Elle dénicha un manteau de tissus brun, qui lui paraissait assez grand pour elle, et sortit.

Elle se précipita dans sa chambre, en tentant de faire le moins de bruit possible. Elle se rua sur la chaise, accrocha son arbalète à sa ceinture, passa le manteau sur ses épaules – qui lui tombait sur les chevilles –, attacha le filet de cuir autour de son cou et cala son arc et son carquois entre ses omoplates. La jeune femme s'autorisa un moment pour respirer. Fuir. Était- ce donc ça la vie qui l'attendait ? Une fugue perpétuelle ? Plus tard. Elle répondrait plus tard. Elle récupéra sa lame et alla la poser sur la table du salon, une façon singulière de remercier ses hôtes, mais elle se laissait rarement aller aux sentiments. Et puis d'ailleurs, elle n'avait rien à voir avec eux. Surtout pas avec lui, celui qui l'avait sauver. S'en aller. Partir, serait le meilleur des remerciements. Elle enfila sa capuche, tentant tant bien que mal de dissimuler l'éclat de ses yeux. La jeune femme se dirigea vers la porte et posa la main sur la poignée, en espérant que personne ne l'ai entendu.

Spoiler:

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Neïkaïr s'apprêtait à sortir. Elle n'eut pas même le temps de faire tourner la poignée que la porte s'ouvrit à la volée. La lumière la frappa comme un poing. Étourdie, elle vacilla, la raison en miette. Dans sa précipitation à quitter les terres elfiques, elle n'avait pas pris conscience de l'heure. Elle ferma automatiquement les yeux, feinte naïve, pour sentir ses forces l'abandonner de nouveau. C'était comme cela chaque fois qu'elle voyait le jour, une fatigue qui pesait inexorablement sur ses épaules. Mais on ne lui laissa pas le temps de s’affaisser, une poigne de fer lui saisit le poignée et l'entraîna dans ce qui semblait être un bureau. Elle se retourna, pour faire face à celui qui la tenait. Sa surprise fut telle qu'elle dut ouvrir de grands yeux ronds pour masquer sa décontenance. Lui. C'était lui. Mais pourquoi rentrait- il à cet heure ? Neïkaïr dut s'appuyer sur l'épaule de l'elfe pour ne pas tomber. En plus de la fatigue occasionner par la lumière du jour, elle venait de réaliser que rejoindre son territoire serait plus difficile qu'elle ne l'avait imaginer.

- C'est ma sœur. Si elle vous voit ici, je serai aussi mort et froid que... Toi.

Neïkaïr releva la tête au moment où la prise se fit moins prononcée. Elle plongea son regard carmin dans celui de l'elfe. Sa sœur. Celle qu'elle avait voulu mordre. La jeune femme se sentit obligée de baisser les yeux, couverte de honte. On ne la changerai définitivement pas. Elle resterait un monstre sans aucun scrupule. Elle se détourna, défit le fin lacet pour enlever la capuche du manteau emprunté et soupira silencieusement.

- Je suis désolé, c'est une rencontre un peu cavalière je te l'accorde mais je ne lui ai pas dit que tu étais là et... Mais. Tu partais?

La jeune vampire sentit ses poings se crisper. Que pouvait- elle bien raconter ? Un partie d'elle souhaiter absolument repartir, abandonner ce malaise dans lequel elle se trouvait, mais une autre espérait, désirait rester encore. Depuis combien de temps n'avait elle pas reçu aussi infime attention ? Neïkaïr tourna la tête vers son hôte au moment où celui- ci lui désignait l'épée. Elle hasarda un "je" presque inaudible, puis abandonna toutes occasions de prendre la parole.

- C'est très gentil. Mais je ne peux pas accepter. Et tu en auras besoin. Peu de lames sont aussi bien forgées et ornementées que celle-la. Je sais de quoi je parle, je suis forgeron.

Neïkaïr se massa les tempes. Parler. Oui parler. Baratiner ou offrir la vérité ? Un peu des deux. Elle ôta son manteau, et le posa sur la table avant de s'asseoir sur le coin de celle- ci et de faire une nouvelle fois jouer les articulations de ses mains, signe d'un mal être évident pour qui savait voir.

- C'était pour te remercier de... de m'avoir aidé, l'autre fois. Je n'ai pas été des plus aimable et je souhaitais me faire pardonner avant de... oui, avant de partir. D'ailleurs, comme tu as pu le voir, j'étais sur le point de m'en aller.

Elle laissa échapper un petit ricanement nerveux avant de continuer, plus bas.

- Tu dois te dire que je suis complètement folle de sortir ainsi, en plein jour, en territoire elfique qui plus est.

Neïkaïr avait parlé sans relever la tête, les yeux rivés sur le sol. Elle n'osait pas regarder l'elfe dans les yeux, comme si ses pupilles avaient porté tous les reproches d'un monde. Au bout d'une minute qui lui parut une éternité, elle se releva et s'approcha doucement de son hôte, d'une démarche qu'elle voulait assurée et déterminé mais dont elle avait du mal à contrôler les tremblements.

- Écoutes je... Prends là. Mon arme, prends là. Je.. j'en ai d'autres. Je t'assures qu'elle ne me manquera pas.

La jeune femme tenta de sourire, dévoilant des dents éclatantes, d'où pointait deux longues canines. Peut être un sourire, même aussi peu séducteur, réussirai à le faire changer d'avis.

N'avait- on jamais dit que le sourire d'une femme, lui permettait d'obtenir tout ce qu'elle désirait ? Foutaise. Personne n'avait jamais ce qu'il voulait, sinon la vie serait beaucoup plus simple. Amis, gloire, richesse, famille. Non, bien trop facile. Surtout lorsque l'on vit en solitaire depuis longtemps, sans but précis, sans personne sur qui compter, sans rien d'autre que soi même et les étoiles. Neïkaïr avait cesser de rêver il y a longtemps. Après réflexion, elle s'était dit que rien ne serait mieux pour elle que de vivre au jour le jour. Au plutôt la nuit...

La jeune Vampire se laissa glisser sur le lit, au côté de l'elfe. La fenêtre ouverte, le soleil coulant à flots, la sensation agréable que des mains se resserrait autour de sa taille et le contact enivrant d'un torse protecteur, c'était tout ce dont elle se souvenait avant d'être arrivée dans cette chambre. Rien d'alarmant, chaque fois qu'un des rayons de l'astre venait à percuter son corps de vampire, Neïkaïr oubliait partiellement des détails, une sorte de trou noir qui se désagrégeait quelques heures plus tard. Mais qui lui donnait un mal de tête horrible, empirant celui dont elle souffrait déjà, et qu'elle savait avoir du mal à dissimuler, la plupart du temps.

Un raclement de gorge gêné lui fit relever la tête en direction de son hôte. Ses facultés de vampire lui permettaient de voir dans les endroits les plus sombres, elle n'eut donc aucun mal à discerner le malaise qui se lisait sur les traits de l'elfe. Il était différent de celui qu'elle éprouvait. Elle, se sentait à la fois redevable et honteuse, l'un parce qu'elle avait une dette envers l'homme, l'autre parce qu'elle n'arrivait pas à oublier l'image du cou chaud et blanc de la jeune fille. Elle se savait partagé entre son devoir moral et ses instincts de prédateur, mais rien n'y faisait. Alors que lui, sa gêne n'était du qu'au fait de rester à côté d'un suceur de sang, d'un monstre. Neïkaïr n'arrivait pas à lui en vouloir, le comprenait- elle, sans doute. Elle avait depuis longtemps accepté les regards haineux, peureux, les gestes de reculs, de dégoûts, dû à ceux de sa race, et c'était accommodé à cette situation de buveur de sang.

Et c'était bien là le problème, elle si souvent déterminé, froide, inflexible, adversaire redoutable, stratège de renommée, n'arrivait pas à mettre mot sur les sentiments qu'elle éprouvait maintenant. Même un peu plus tôt, quand l'elfe c'était assis près d'elle, quand une sensation qu'elle avait si peu éprouvé durant toutes ces années avait déferlé en elle, la Vampire était resté aussi indécise qu'un enfant. La faim peut-être ? La fatigue ? Ou autre chose... Neïkaïr tenta de se lever à son tour. Elle sentit ses jambes se dérober sous son poids mais réussit à tenir le coup. Elle se tint droite, une main appuyer sur le bois du lit.

- Très bien. Si tu ne veux pas de cette arme, je la garde. En ce qui concerne ma... fuite précipitée, je... te fais confiance. Il est vrai que c'était idiot de ma part.

Elle se dirigea vers la porte, en prenant bien soin d'éviter tout contact avec l'elfe. Arrivée sur le seuil, elle posa la main sur le bois de la porte.

- Au fait... Je m'appelle Neïkaïr.

Sans se retourner, la jeune femme partit rejoindre sa chambre, dont les volets était restés fermés. Elle rassembla ses affaires du mieux qu'elle le put et s’essaya sur son lit, en espérant que le soir viendrait vite.

Spoiler:

La porte claqua, sans que la jeune femme n'ait pu dire un mot. Elle était de nouveau seule. Mais cette fois, c'était différent. Privée de l'unique chose qui avait guidé ses pas, elle se sentait vide : sa liberté lui faisait défaut. Neïkaïr porta la tasse à ses lèvres, le sang chaud n'était pas aussi enivrant que celui qu'elle avait l'habitude de boire, mais elle avait appris à ne pas faire la difficile. Une fois la tasse finie, elle la posa sur le rebord de la fenêtre, dont les volets étaient fermés. La Vampire inspecta une nouvelle fois sa chambre, les mains sur les hanches et poussa un soupir. Elle n'avait pas pris conscience auparavant de la petitesse du lieu. Feu follet qu'elle était, la jeune femme ne tiendrait pas comme ça jusqu'à ce que Valar revienne. Elle s'approcha des vêtements laissés par celui-ci ; une tunique, un ceinturon, ainsi qu'une cape. Les paroles de son hôte lui revinrent en mémoire : peut être ne s'opposerait- il pas à une petite promenade improvisée. Surtout s'il ne l'apprenait pas... Neïkaïr enfila les vêtements, elle posa les siens, poussiéreux, sur la chaise. Le ceinturon allait parfaitement à sa taille, mais la tunique elle, lui tombait juste en dessous des genoux. Elle enfila ensuite la cape, et passa le capuchon sur sa tête, en prenant bien soin de masquer l'éclat de ses yeux.

Une fois sortie de la chambre, la Vampire s'assura que le jour n'avait pas d'effet accablant sur son corps, et à pars quelques étourdissements, elle ne remarqua rien d'autre. Un sourire éclaira son visage, au moment où elle passait le seuil de la porte, en ayant préalablement glisser son poignard dans sa bote, lorsqu'elle se rendit compte à quel point elle pouvait être têtue. Mais rien n'aurait pu la retenir. Après de si longue année d'errance et de voyage en tout genre, elle se demandait comment pouvait- on vivre ainsi, dans la routine la plus ennuyeuse, à partir tous les matins au travail, encore et encore. Peut- être Valar et sa sœur avaient- ils choisis cette vie, mais pas Neïkaïr, et elle se savait devenir folle si elle restait une minute de plus à ne rien faire. Aussi, lorsqu'elle fut dehors, elle attrapa un bâton de bois tombé près d'un arbre et se dirigea, chancelante, vers la petite parcelle de forêt. Cet effort lui coûtait, mais elle sentait en elle courir une nouvelle force, si intense qu'elle aurait pu soulever des montagnes. La forêt lui offrirait des zones d'ombres, des cavernes ou des combes, tout ce dont elle aurait besoin. Ses doutes s'envolèrent.

Elle laissa ses pensées s'envoler jusqu'aux terres vampiriques, parcourir ses terres au gré du vent, pour finalement revenir ici, en passant par la forge de Valar. Que pouvait- il bien faire en ce moment ? Et sa sœur ? Neïkaïr sourit intérieurement en pensant à la relation que partageait les deux elfes. Pourquoi le plus grand craignait- il ainsi les réaction de sa jeune sœur, au point de cacher l'existence de la vampire à celle- ci ? Mais surtout, s'il redoutait autant la petite, pourquoi prenait- il le risque d'héberger un suceur de sang , de le protéger, alors qu'il aurait pu le laisser mourir quelques jours auparavant ? Neïkaïr se promit d'en toucher deux mots à Valar, quand il reviendrait. Elle le savait différent. Quand d'autres auraient porté un regard haineux à la jeune femme, lui avait fait preuve d'un sang froid et d'une compassion étonnamment touchante. Car il ne l'avait pas seulement sauvé, il avait veillé sur elle, et l'aiderai encore ce soir quand elle devrait rejoindre la forêt et s'en aller... Neïkaïr perdit l'équilibre. Elle chuta, avec un cri de surprise, pour finir la tête dans la poussière. Peut- être s'était- elle un peu trop surestimée. Le moment était venu de rentrer. Elle se releva péniblement, tenta tant bien que mal de défaire la saleté sur les vêtements et repartit en direction de la petite maison.

La jeune femme crut qu'elle devrait finir le chemin en rampant tellement elle se sentait affaiblie. Elle ne savait pas quand elle était partie mais se doutait qu'elle était restée trop longtemps dehors. Les meubles de la maison parurent se dédoubler lorsqu'elle entra. Elle chancela, se cogna contre une commode et un bruit de casse se fit entendre. Des bruits de pas résonnèrent, ils provenaient d'une autre pièce mais le malaise de Neïkaïr les amplifiait jusqu'à ce qu'ils viennent cogner dans sa tête. Elle voulu rejoindre sa chambre, mais se sentit de nouveau défaillir lorsqu'elle ouvrit la porte. Les volets étaient ouverts. Une nausée horrible percuta Neïkaïr en même temps que des questions. Qui était là ? Valar était- il rentré plus tôt ? Non impossible... Puis, elle se souvint. Le cou chaud et tranquille. L'artère palpitant dans la nuque de la jeune fille. La jeune femme ne prit pas le temps de refermer la porte et partit en chancelant vers la chambre la moins éclairée, celle de son hôte. Elle se cogna de nouveau contre un meuble. Verres brisés. Bruit de casse. De nouveaux pas résonnant dans sa tête. Quelqu'un était là. La petite sœur. Elle espérait se tromper. La porte de la chambre s'ouvrit sans que Neïkaïr n'ait conscience de son propre geste, elle la referma aussi vite, pour s'isoler dans un coin de la pièce. Les jambes repliées contre sa poitrine et la tête enfoncée dans ses genoux, elle gémissait doucement. La douleur reflua et soudain, la vampire se tut.

Elle releva la tête, ses yeux carmins éclairèrent la pièce d'une flamme lugubre. Elle rejoignit la porte avec une vitesse surhumaine, ses forces décuplées par la soif. Ne cesserait- elle donc jamais de vivre dirigée par ses pulsions ? Elle rejoignit la cuisine et fouilla dans toute la pièce, le plus discrètement possible, pour ne pas attirer l'attention. Mais impossible de mettre la main sur le sang dont Valar avait parlé. Des rires résonnèrent dans la maison. Ceux de la petite ? Neïkaïr chercha encore. Si elle ne trouvait pas, tout allait empirer. Sa soif, ses forces. Elle ne serait guidé que par l'odeur irrésistible de la chair fraîche émanant de la jeune fille. Et quand ce moment arriverait, Neïkaïr ne donnait pas cher de sa peau.

Spoiler:

Neïkaïr resta pantoise, les yeux rivés sur la porte, sans pouvoir bouger. Alors c'était elle ? La petite sœur que Valar craignait tant ? Était- ce donc un gène familiale que de venir en aide au monstre comme Neïkaïr ? Ses sourcils se froncèrent légèrement quand une odeur de sang frais parvint à ses narines. Elle se décala un peu vers la droite, en longeant le mur, toujours aux aguets. Ses doigts frôlèrent le bol de terre cuite avec une euphorie contenue. Elle le porta doucement à ses lèvres. Le sang était bien plus vivifiant que celui que Valar lui avait servi un peu plut tôt dans la journée. Il avait la senteur de la forêt et la douceur du sang elfique. La jeune fille s'était volontairement ouvert la paume de sa main au dessus du bol, pour y faire couler le liquide rouge. Le vampire en était certain.

La jeune femme but l'entièreté du breuvage en quelques secondes. Elle reposa ensuite le récipient devant elle, repue. Mais pour combien de temps ? Il fallait qu'elle parte. C'était décidé. Mais pas maintenant. Elle se leva, chercha la clé de la porte dans la chambre. Elle trouva celle ci dans un des tiroirs de la table de chevet et actionna la serrure. Neïkaïr put enfin se reposer. Enfermée dans la petite pièce, elle s'allongea sur le lit et s'endormit aussitôt.

Lorsqu'elle se réveilla, il faisait nuit noire. Neïkaïr s'assit sur le bord du lit. Elle enfouit sa tête entre ses mains. L'heure était venue. Il était temps de s'en aller. Elle ouvrit la porte. Un douce lumière filtra à travers l'ouverture. Valar et sa sœur étaient attablés et discutaient, éclairé par la lueur d'une bougie. Le vampire se glissa sans un bruit jusqu'à la porte de la précédente chambre. Elle revêtit ses vêtements de cuir et reprit ses armes avant de rejoindre la porte principale. Arrivée dans le hall, elle se retrouva face à Valar. Peut être attendait- il quelconque remerciement... Ou un au revoir. Elle ne le lui donna pas et sortit. La jeune femme se dirigea vers la forêt proche, abandonnant la petite maison et ses habitants. Qu'allait- elle faire maintenant ? Elle avait entendu parler d'un recrutement pour un équipage de pirates. Pourquoi pas ? Neïkaïr fila vers Angaïla.