Les tempes battantes, la tête qui tourne légèrement, le sang qui afflue, les joues qui rougissent, les mains qui tremblent, la goutte de sueur qui coule, froide, dans le dos, l'air qui manque, le souffle suffoquant, les poils de la peau qui se hérissent, les oreilles qui sifflent ; voilà les signes que laissait la panique sur le corps de Thôrya.

***

Quelques heures plus tôt, le monde était en constante évolution. Chaque pas était un nouveau pas fait dans un nouveau monde. Chaque arbre, chaque fleur, chaque roche, était une nouveauté que la jeune naine découvrait avec délectation. Elle ne savait pas réellement où elle se rendait, ni même réellement où elle était en cet instant précis. Mais son dos se montrait toujours insensible au foyer qu'elle venait de quitter. Son versant natal avait disparu à la vue de ses larges épaules, il s'était enfoncé dans la brume qui nappait les montagnes et dissimulé derrière les hauts arbres de la forêt ancestrale.
Thôrya avait prit le parti de ne pas la traverser de front. Maintes histoires étranges circulaient sur ce qui vivait dans le territoire des Chemins Abandonnés. Rien de suffisamment fort pour la battre pensait-elle. Néanmoins, l'esprit enfantin qui la hantait toujours s'était suffisamment amusé à lui répéter les histoires de sa jeunesse. L'effrayant imaginaire était, encore une fois, plus coriace à combattre que l'effrayante réalité.
Son but était incertain, son itinéraire inconnu. Peut-être commencerait-elle par une grande cité, ça la changerait de son village montagnard. Mais rien ne pressait. Tout était pour elle matière à étonnement et curiosité.

Néanmoins, au fur et à mesure qu'elle tentait de s'extirper de cette forêt, elle avait l'impression étrange et fugace de s'y enfoncer. Les Chemins Abandonnés pouvaient se transformer en de véritables labyrinthes pour les non-initiés, même nains. Mais elle était pourtant persuadée de l'arc qu'elle avait emprunté. Une telle boucle aurait déjà du l'extirper de ce bourbier pour l’emmener plus haut au nord, vers Kazad Duraz.
Le ciel s'assombrissait sous la densité de plus en plus oppressante des arbres centenaires. Et dans l'air plus frais, Thôrya commença à sentir l’appréhension de s'être perdue. Certes, elle tenta bien de rationaliser ; comment peut-on se perdre quand on ne va nul part ? Mais la vérité était tout autre ; et si son choix avait été une erreur ? La mort n'était pas une chose qui effrayait la naine. Mais mourir sans avoir eu le temps de ne rien découvrir, ça c'était cruel.

Probablement accentué par sa récente émancipation, le stress commença à envahir la jeune naine. Les heures s'écoulant, son chemin semblait de plus en plus incertain, sa ligne indistincte. Mais l’apothéose fut son arrivée aux ruines de Mhornar. Elle les reconnut immédiatement. Lieu anciennement sacré des nains, chacun était en devoir de le connaitre. Mais à présent, il ne s'agissait plus que de ruines, un lieu hanté par de sombres souvenirs du passé, des guerres et des massacres.
L’événement le plus problématique résidait dans le fait que les ruines de Mhornar se trouvait exactement à l'opposé de là où Thôrya souhaitait se rendre. Cet endroit se trouvait aux abords d'une falaise, tout au sud d'Angaïla.

La jeune naine posa un genoux à terre et décida de faire le vide. Il n'était pas l'heure à la panique. Après tout, si ce lieu avait eu tant d'importance pour son peuple, il valait bien la peine d'un petit détour. Quelques minutes auraient suffit à la naine pour récupérer son total sang froid. Mais un événement impromptu l'en empêcha ; quelqu'un arrivait. Des sentiments étranges vinrent s'insinuer dans son corps en stress. Quelque chose apparut, quelque chose disparu, des choses changèrent. Et Thôrya devint ce qu'elle n'était plus devenue depuis longtemps sous le coup de l'émotion ; un homme !*



HRP : [* Il s'agit du don de Thôrya, elle est capable de changer de sexe. Piur le moment elle n'en est qu'au premier palier donc ce n'est pas elle qui décide du moment où cela arrive. Pour plus d'info, regarde dans ma fiche de présentation.]

Thôrya sentit les effets de la transformation s’opérer en elle jusque dans les moindres détails. Même sa façon de voir le monde s'en trouvait légèrement modifiée. Heureusement, les nains, tous sexe confondu, n'ont jamais été fort différents les uns des autres. Thôrya perdit momentanément l'équilibre, le temps que son corps trouve son centre de gravité sur ses nouvelles jambes. Dès que tout fut en place, il se rappela instantanément les bruit de pas qu'il avait entendu. Mais que faire ? Comment savoir si la personne qui s'approchait serait à placer dans la case des ennemis ou des amis ? Thôrya avait vraiment beaucoup de peine à comprendre les émotions d'homme qui lui arrivaient pèle-mêle jusqu'au cerveau. Sous l'effet d'un petit coup de panique mal interprété, le jeune nain fit volte-face, tournant le dos à la forêt, et se dirigea dans les ruines. Sa course fut plus lourde, à l'image des mâles de son peuple et de son manque de coordination. Il sentit sa tunique, devenue trop large, flotter de façon désagréable dans le vent du soir.

Quand ses pas foulèrent le sol plus dur des ruines et que le soleil disparut totalement derrière un gigantesque mur de pierre, Thôrya s'arrêta enfin, les yeux hagards. Il se trouvait dans ce qui avait du être une grande salle de culte probablement. Seul restait trois murs à demi effondrés et une arcade que seul le lierre maintenant encore en équilibre. Du toit il ne restait rien. Et, hormis quelques vestiges de ce qui avait du composer la vaste pièce, la poussière et les gravats étaient seuls rescapés de l'affaire. Mais soudain, les yeux du nain se posèrent sur ce qu'il y avait de plus récent en cet endroit. Assise sur un large rocher, à l'extérieur des ruines, une femme fixait Thôrya l'air incertaine.
Sentant les muscles de cette femme tendu à l'extrême, la voyant prête à quitter sa place d'un bond, le nain se redressa, reprenant une allure plus engageante. Il s'approcha alors, à pas lents et posés, histoire de ne pas effrayer l'inconnue. A ce mot, Thôrya se figea un bref instant. "Inconnue". Il est vrai après tout qu'il ne savait rien de cette jeune femme, hormis ce que ses yeux pouvaient embraser. Qui pouvait certifier qu'elle ne représentait pas un quelconque danger ? Son air effarouché et légèrement apeuré ne signifiait rien. Ça aurait très bien pu être un leurre ou une information mal relayé au cerveau mâle de la naine.

Thôrya pris une poignée de secondes pour dévisager cette inconnue. Les deux êtres se fixaient dans un malaise croissant. Le nain décida finalement qu'aucune autre alternative ne s'adressait à lui. Il ne pouvait pas rester éternellement dans cette position. Il ne pouvait pas non plus fuir. Si cette femme était une amie, ce serait de la pure et simple lâcheté ; inacceptable pour un fière représentant nain. Et si c'était une ennemie, elle le poursuivrait et le combat devrait avoir lieu dans la sombre forêt que le crépuscule était doucement entrain de recouvrir. La seule solution était de s'approcher et de voir de quoi il retournait. C'est ce qu'il fit. Même si Thôrya n'avait pas vraiment l'habitude de se présenter, n'ayant jamais quitter son village montagneux, elle fit un gros effort :

- Bonjour dame inconnue. N'aie pas peur, je ne suis qu'une naine en ballade.

Thôrya entendit sa propre voix lui revenir aux oreilles, rocailleuse et forte. "Une naine" n'était peut-être pas le terme approprié en regard de ce que cette femme devait voir.

- Je voulais dire, un nain. Hum... et vous, qui êtes vous ?

Thôrya savait pertinemment bien que sa transformation n'était que temporaire et que, tôt ou tard, sa véritable apparence serait révélée.

Un immense sourire prit forme sur le visage de la jeune femme, révélant une autre facette de son visage, soulignant de grands yeux sauvages. Thôrya trouva ce sourire encourageant.

-Bonjour cher Nain. Je suis Solena une...

La dame marqua une pause, longue et étrange. Ne savait-elle donc pas ce qu'elle était ou n'osait-elle pas le dire ? Thôrya s'imagina en face de quelqu'un comme lui, capable de changer de sexe. Peut-être s'adressait-il en fait à un homme ? Non, il y avait peu de chance pour que cela arrive, surtout quand on savait qui lui avait offert ce don étrange, cette malédiction.
L'encore inconnue portant le nom de Solena finit par reprendre avec plus d'assurance :

-Je suis une simple lycane qui me promène dans votre magnifique pays. J'espère ne pas vous déranger dans ce lieu si paisible. Est-ce un lieu de Culte ?

Thôrya avait sourit à l'évocation d'une "simple lycane". Pour lui, cela ne pouvait exister ! Surtout en ces premiers jours de découverte. A peine parti et déjà un début de conte qui se dessinait à l'horizon. N'ayant jamais vraiment quitter ses montagnes, Thôrya ne connaissait pas beaucoup d'histoires au sujet des autres peuples d'Ephaëlya. Cette lycane aurait probablement quelques histoires à lui transmettre que Thôrya pourrait par la suite ramener à son peuple. Son métier de conteuse était plus que cela après tout, c'était une véritable passion dévorante. Il ne pouvait se passer d'apprendre, de connaitre tout d'un sujet et surtout de le transmettre aux autres. Il avait d'ailleurs failli devenir historien mais pour cela il aurait fallu quitter les montagnes à l'enfance pour aller étudier à la capitale et ça, ce n'était pas possible. Ses parents ne l'auraient pas permis à cet âge là. Certes, maintenant ils étaient plus en paix avec le règne des nains des plaines mais ça n'avait pas toujours été le cas.

Thôrya se rendit compte qu'il était toujours perdu dans ses pensées et qu'il n'avait pas répondu à Solena. Heureusement, cette dernière ne s'en souciait pas. Elle était en train de s'installer pour un repas à même le sol. Le nain fut étonné de ce rapide changement de comportement. Mais en apercevant les quelques fruits sortir de leur besace, il sentit son ventre l'appeler. Pas qu'un nain aime particulièrement les fruits ou qu'il n'ai pas mangé depuis longtemps. Simplement, un nain ne peut résister à l'appel de la nourriture, quelle qu’elle soit. Et pour cela, l'appétit de l'homme était plus fort et persistant que celui des femmes.

-En voulez- vous? Hmm pouvez-vous me dire ce qu'il s’est passé pour que tout ici deviennent de simple ruine?

Thôrya resta un instant immobile à fixer la louve dissimulée. Était-ce réellement une bonne idée ? N'était-il pas encore temps de s'en aller ? Si Thôrya prenait la décision de rester, il devait de suite jouer carte sur table, le temps pressait et son corps ne lui laisserait pas le loisir d'un mensonge longue durée. Il commençait déjà à sentir les effets mâle s'estomper, perdre de leur ampleur, de leur opacité. Il regarda ses mains déjà imperceptiblement plus fines. Il était même trop tard pour fuir, le changement était trop rapide, elle revenait.
Avant que tout ne s'emballe, elle releva les yeux vers Solena qui attendait toujours une réponse.

- Je crois qu'une explication s'impose...

Sa voix connaissait de légères variations, grave et fine à la fois, redevenant féminine.

- Je suis une femme et je ne ...

Elle ne put achever totalement sa phrase, la laissant pendre dans l'air au bout de ses lèvres plus fines. La différence entre homme et femme dans le peuple nain n'est pas aussi frappante que pour les autres peuples. Mais elle était quand même là, bien visible et ne manquerait certainement pas d'étonner Solena. Thôrya baissa les bras alors que son corps finissait sa transformation. La fluidité avec laquelle son corps reprenait sa place était étonnante. Et le bonheur d'être à nouveau elle-même était plus que réjouissant même si elle ne savait pas trop comment expliquer tout cela à la lycane. Pourtant, ce n'était pas encore ce qu'elle redoutait le plus.

Thôrya s'approcha de Solena et s’assit à ses côtés. Elle sortit sa propre gourde et en but de grande lampée. La transformation l'avait un peu épuisée mais elle savait que le pire n'était pas encore arrivé. Le pire, la chose qu'elle redoutait le plus et qu'elle appréhendait déjà les larmes aux yeux n'arriverait que le lendemain.

- Laissez moi juste une petite minute pour ça.

Thôrya tourna son regard vers les ruines à côtés d'elle, sa respiration reprenant un rythme plus régulier. Après quelques minutes, elle se tourna à nouveau vers la lycane et la regarda dans les yeux.

- C'est un longue histoire. Une histoire de taurarchonaute et d'un souvenir trop douloureux à raconter. Je ne contrôle pas ce qui arrive et je n'avais certainement pas l'intention de vous tromper.

Thôrya sourit d'un air las, elle ne parvenait pas à en dire plus. Les souvenirs de cette grossesse et de ce jour funèbre lui faisait tellement mal. Ils lui brûlaient le corps avant même qu'elle ait pu imaginer les prononcer.

- Je suis conteuse dans mon village et j'a pas mal de chose intéressantes à vous raconter sur ces ruines. Mais si vous voulez me poser d'autres questions sur ce que vous venez de voir, c'est maintenant.

Thôrya pris le temps d’observer le visage perplexe de Solena. Quelque chose dans son regard se perdit et on sentit les pensées de la louve l’envahir. La naine pouvait comprendre la réaction et le silence de la louve. Elle s’imaginait sans peine dans la même situation, ce n’était pas compliqué. Comment quiconque pouvait-il paraître indifférent à ce genre de nouveauté ? Le regard absent de Solena s’étala le long de son corps, dévisageant son visage au sourire entendu, ses longs cheveux roux aux multiples tresses dont chacune avait une signification, ses vêtements simples mais pratiques, peut-être ses armes,… Thôrya se ressemblait assez en homme ou en femme mais il était clair que la personne avait ses différences.
Après tout, ce n’était que la quatrième fois que cela lui arrivait. Elle n’en avait pas encore l’habitude et en était encore à se demander si ce don serait temporaire, si il évoluerait, si elle aurait toujours à en subir le contrecoup…
La main de Solena se souleva, à demi-apeurée, à demi-désireuse. Elle approcha du visage de Thôrya qui hésita à réagir. Devait-elle la laisser faire, lui permettre de défaire ses doutes et ses craintes ? Lui laisser toucher ce en quoi elle ne croyait pas ? Dit comme ça, elle se sentait meilleure, créatrice de rêve comme elle aimait l’être dans son métier. Mais elle n’était pas sûre de vraiment pouvoir l’accepter. Elle n’eut finalement pas à prendre cette décision car la jeune louve sembla reprendre tous ses esprits. Et ses yeux qui s’écarquillèrent soulignèrent l’évidence de sa propre gêne. Elle ramena sa main à elle et Thôrya lui sourit.

- Comment vous appelez vous ?

Thôrya la regarda étonnée. Elle ne s’attendait certes pas à une telle question. Elle avait imaginé beaucoup de choses mais certainement pas ça. Après réflexion, ça ne l’aurait peut-être pas tant dérangée de parler de son histoire. Peut-être qu’après toutes ses années en avait-elle besoin ? Mais elle reconnaissait bien là son caractère de naine. Si Solena lui avait posée une question plus personnelle, probablement n’aurait-elle pas voulu répondre. Et maintenant qu’elle pouvait constater de la délicatesse de la louve, le contraire lui venait à l’esprit. Mais ce n’était pas encore l’heure.
Elle n’eut pas vraiment le temps de répondre que Solena sembla s’embarrasser à nouveau. Elle ramassa le fruit que la stupeur lui avait fait lâcher avant de le tendre à nouveau à la naine. Cette dernière le pris sans hésitation. Sa transformation lui avait donné faim et même un fruit ferait l’affaire. Les légumes cuits lui plaisaient plus mais elle n’était jamais contre une bonne pomme de temps en temps. Après tout avait-elle elle-même quelques pommiers et poiriers sur ses terres. Ses anciennes terres en fait puisque, en partant, elle en avait laissé la charge à Moryne et Stamphr, un couple d’ami dont elle avait souvent usé du soutien.

- Vous semblez connaître un tas de chose par cœur sur la vie des nains. Pouvez-vous me dire pourquoi les nains et les Elfes ne s'entendent vraiment pas? Est-ce uniquement à cause de leur façon de vivre?

Thôrya sourit. Décidément cette femme lui plaisait ; faire appel à ses talents de conteuse après deux questions.

- Je m’appelle Thôrya. Thôrya Dwiline fille de Markuin Dwiline, fils de Thorsin, lui-même fils du fameux Rhodrin Dwiline.

Thôrya rit d’elle-même, dans sa tête et à voix haute. Solena devait bien se moquer d’entendre tout son arbre généalogique.

- Pardonnez-moi, c’est une habitude chez les nains. La parenté est très importante pour nous, tout se lègue par cette voie dont une partie de l’honneur et de la gloire. Pas que je cours après mais certains ont le pouvoir d’ouvrir certaines portes. Pour votre question, elle est plus délicate. Notre affrontement ne tient pas de nos différences, il s’agirait plutôt du contraire. Certes, elles étaient là à la base mais la plupart en découlent en fait. Il est difficile de nommer l’événement qui à réellement déclenché tout cela. Tous l’ont oublié, il remonte à si loin. Une guerre probablement, un simple différent qui n’a fait que grandir. Il fut un temps, si lointain qu’on ne le place plus dans l’histoire, où les nains et les elfes étaient amis et proches et je tente à croire que cela sera bientôt de nouveau le cas. Les temps changent, vous savez, les esprits avec et les peuples tendent tous vers la paix à présent. Surtout avec les derniers événements entre les elfes et les lycans. Certaines rumeurs parlent d’un traitre nain et d’un tyrannique roi elfe. Les tords semblent partagés mais chacun y va de sa version.

Thôrya marqua une pause. Buvant quelques gorgées et croquant dans un fruit. Elle aimait à faire ça quand elle sentait la curiosité grandir dans son auditoire. Elle aimait les regards pétillants qui s’accrochaient à ses lèvres. Elle sentait toujours venir le moment où son interlocuteur ne pourrait plus partir sans entendre la fin.

- Par la suite, les conflits ne se sont pas réglés. Les nombreuses guerres qui régnaient entre les autres peuples et l’isolation de ses deux-là, les ont fait entrer dans une spirale sans fin. Et quand les autres peuples se sont calmés, ils n’ont pas voulu intervenir dans ce conflit. Peut-être par peur. Après tout, les elfes comme les nains sont des êtres redoutables au combat. Plusieurs traités ont été signés mais la haine était là. Chacun se dévisageait avec mépris et faisait le maximum pour ne pas ressembler à l’autre, d’où ce contraste. Mais de nouveaux présages arrivent comme je vous l’ai dit. Des rumeurs courent dans les terres naines et la paix régnera bientôt, j’en suis sûre.

Spoiler:

Solena parut satisfaite du récit. Elle offrit un large sourire à Thôrya et son regard entendu répondait sans détour à l'espoir que la naine venait d'évoquer. Du point des vue des autres races d'Ephaëlya, il n'y avait pas réellement de raison de ne pas souhaiter le retour de la paix entre les éternels ennemis. Hormis quelques incontournables incultes qui prenaient encore les nains pour la sous-race barbares par excellence. Il était vraiment temps que tout ces préjugés insultants s'arrêtent. Certes, les nains étaient un peu balourds, parlaient fort et n'étaient pas toujours très, comment dire, délicats dans leur façon de manger, de parler ou même de se déplacer. Mais ils étaient bien plus que de simple petites personnes dénuées de tact. Ils savaient être délicats et subtils quand il s'agissait de leurs conceptions. C'étaient de grands créateurs, forgerons, bijoutiers. Ils aimaient manier les mots, chanter, apprendre. Ils chérissaient le savoir et l'histoire. Mais c'était là une face des nains que peu de gens parvenaient à voir. Ce que Thôrya espérait voir changer avec le retour de la paix.

-Souhaitez-vous marcher quelques instant avec moi dans ces ruines j'aimerais découvrir cet endroit. Cela ne vous dérange pas si je vous nomme par votre prénom?

Thôrya secoua la tête pour signifier son accord, que ce soit pour la marche ou son appellation. Après tout, tout le monde l'avait toujours appelé ainsi. Cela lui convenait mieux, moins barbant probablement.
La naine se leva et suivit Solena vers les ruines dont le soleil de fin d'après midi recouvrait le lieu d'une lueur chaude et revigorante.

- Dites-moi pouvez-vous me parler de ce lieu? Pourquoi ce qui devait-être de merveilleux bâtiments est transformer en ruine?

Thôrya se rappela des deux précédentes questions auxquelles elle n'avait pas encore eu l'occasion de répondre. Ce lieu, ces murs, n'avaient pas une histoire très compliquée, très longue, mais elle trouverait bien à enrober son récit de quelques anecdotes. Fort heureusement, entant qu'ancien lieu de culte réputé, c'était un endroit qu'une conteuse se devait de connaitre. Et puis, si Solena était un tant soit peu superstitieuse, elle apprécierait ce que l'histoire avait gravé dans la légende. Ou plutôt ce que la légende avait ajouté à l'histoire. En fonction des croyances.

Thôrya allait prendre la parole quand elle vit Solena, qui avait pris quelques pas d'avance, tomber devant elle. Sa première réaction fut d'aller l'aider à se relever. Mais voyant le sourire mi-farceur mi-honteux de la lycane, elle préféra lui laisser la dignité et la tranquillité de le faire par elle-même. Mais quand la jeune femme tenta de se redresser, le sol trembla. Quand Thôrya pensait au lierre comme seul soutien restant, elle n'avait peut-être pas tout à fait tord. Elle se mordit le lèvre inférieur, ne sachant si elle devait foncer aider Solena qui était toujours au sol, ou au contraire, reculer afin de délester le sol de son propre poids.
Toujours hésitante, la décision n'eut pas de raison d'être prise. Car, lorsque Solena entreprit une seconde tentative, un grand craquement se fit entendre. Et dans la chute de son corps et des débris, on entendit que bien peu le cri d'alerte de la naine. Le sol des ruines en entier trembla et une épaisse poussière s'éleva tout autour. Un vent frais de fin de journée s'engouffra rapidement entre ce qu'il restait des murs et vint libérer les sens assourdis de Thôrya. Cette dernière n'hésita plus ; la vue retrouvée, elle constata que le trou s'arrêtait net au commencement d'une nouvelle poutre de soutien. Elle se lança donc vers le bord et pencha sa tête précipitamment. Il faisait sombre en bas et, pendant un instant, le silence pesant et la noirceur furent ses seuls horizons. Mais sa vue de naine s'habitua rapidement et elle finit par distinguer la silhouette étendue de Solena quelques mètres plus bas.

Elle sentit encore une fois un sentiment de panique l'envahir. Pas simplement à la vue de ce corps dont la chute de plusieurs mètres en faisait une proie à la douleur. Mais surtout par la concrétisation de ses peurs à la vue de son immobilité et de l'effrayante tâche de sang qui se rependait alentour.
Thôrya sentait en elle des relents d'homme mais son corps était trop épuisé par sa récente transformation et c'est dans sa peau de femme qu'elle se mit en quête d'un moyen de descendre.
Il faut bien l'avouer, la naine se retrouvait un peu béate, non seulement devant l'accident mais aussi devant la découverte qu'il avait engendré. A sa connaissance, les ruines ne contenaient pas de sous-sols. D'ailleurs, il ne s'agissait pas que de sa connaissance ; les ruines ne contenaient pas de sous-sols ! Pourtant, ce qui s'ouvrait sous ses pieds était clairement une salle et non un simple trou. Comment l'expliquer ?
Thôrya sentit sa propre main la gifler pour la rappeler à l'ordre. Il n'était pas temps de ces pensées égoïstes, il était temps d'agir ! Elle regarda autour d'elle et trouva ce qui ressemblait fort à une liane et qui venait d'un arbre à l'entrée des ruines. Elle en testa rapidement la solidité et remercia Morwën de la petitesse des nains. En lançant le bout qui n'était pas attaché par dessus le bord du trou, elle remarqua qu'elle n'échapperait malheureusement pas à un saut de presque deux mètres. Pas insurmontable heureusement. La naine se pressa donc de descendre tout en se demandant pourquoi une salle naine se trouvait pourvu d'un si haut plafond.

Elle arriva au sol et se précipita vers Solena, toujours inconsciente mais vivante. La naine s'empressa de déballer sa besace dans laquelle se trouvaient quelque nécessaire de premiers soins. Elle avait suivi quelques cours de guérison mais était loin d'être une professionnelle en la matière. Elle connaissait néanmoins les traitements de bases et la plupart des plantes de guérison que contenait Ephaëlya. Elle espérait simplement que ce soit suffisant.
Elle commença par jeter un coup d'oeil à la tête de Solena d'où semblait provenir le sang et donc, le plus urgent. Fort heureusement, il y avait plus de sang que de réelle blessure. La plaie n'était pas très profonde. Elle stoppa donc l'hémorragie et tenta de cicatriser la plaie avec de l'eau de vie venant de sa besace. Elle fit ensuite un bandage avec quelques difficultés.
Solena était pâle et Thôrya entreprit de vérifier si d'autres blessures plus graves ne ce serait pas mise à saigner. Aucun os ne semblait brisé mais la lycane était couverte de nombreuses ecchymoses et écorchures ainsi que d'une entaille peu ragoutante à la cuisse. La naine la soigna également comme elle le pouvait.

La nuit tombait au dehors et la noirceur devenait trop profonde, même pour une naine. Elle fit un tour rapide de la pièce et son regard finit par tomber sur une ancienne cheminée. Peut-être leur future sortie ? Un imposant coffre en bois trônait à côté et Thôrya sentit l'échelle de ses espoirs remonter d'un cran. Elle se releva après avoir posé sa besace vide et repliée en dessous de la tête de Solena. En ouvrant le coffre, sa joie remonta elle aussi ; il était plein de bûches. Le feu fut vite allumé et, ne sachant pas combien de temps il faudrait à sa nouvelle amie pour se remettre, elle s'installa sommairement à ses côtés.

Les heures furent longues après ça. Aucune lumière n'avait jamais permis aux plantes de pousser en ce lieu et Thôrya n'osa pas remonter seule. Elle doutait que la liane survive à un autre passage et le risque était trop gros. Elle n'aurait jamais pu abandonner Solena ici, même si elle la connaissait si peu au fond. Après tout n'était-elle pas sûre que les plantes seraient indispensables. Pour le moment, la louve ne semblait pas atteinte par une quelconque fièvre et il faudrait espérer que les soins rudimentaires suffiraient à la contenir.

La nuit passa alors que Thôrya tentait de maintenir le feu. Elle avait du tirer Solena plus près de celui-ci ainsi que ses affaires. C'est qu'il faisait froid en bas pendant la nuit. La pièce semblait grande, elle en distinguait à peine le bout dans le noir. Elle n'avait pas encore réellement pris le temps d'en faire le tour car elle semblait vide et qu'elle préférait s'occuper de la lycane. Mais trois portes closes mériteraient d'être ouverte quand tout serait réglé.
En attendant, la nuit était passée ainsi, dans le silence et l'inquiétude. La plaie à la cuisse s'était remise à saigner pendant un moment et Thôrya l'avait désinfectée avant d'en refaire le bandage.
Solena était toujours inconsciente mais son organisme avait surement besoin de temps pour se remettre, tout simplement. La naine ne savait pas vraiment comment fonctionnait la guérison des lycans. Ce qu'elle redoutait aussi avec l'approche du soleil, c'était le contre-coup de son don, la punition de sa manipulation génétique, les deux heures où elle serait à nouveau enceinte.