L'aube était arrivée plus rapidement que Thôrya ne l'aurait cru. Elle avait passé la soirée et une partie de la nuit à rassembler ses affaires et d'autres choses pour le périple à venir. Evanya et plus particulièrement la cité d'Ardamir n'était qu'à quelques jours de marche de Kazad Duraz mais le chemin n'était pas sans danger et un minimum d'équipement était nécessaire. En effet, si le côté rébarbatif du passage de la tour de défense et du poste-d'avant garde avec une troupe de nains seraient déjà difficile, les dangers seraient aussi présents dans la forêt ancestrale et celle de l'éternelle. Thôrya ne s'y était jamais rendue et n'en connaissait que ce qu'elle en avait lu. Ces bois n'étaient certes pas les plus dangereux d'Ephaëlya mais la naine n'aurait pas voulu paraître une proie trop facile au yeux d'un quelconque prédateur ou agresseur. Devant mener une quête diplomatique, elle ne voulait pas non plus passer pour une débutante au yeux de sa propre troupe. L'idée même de diriger d'autres nains ne l'effrayait pas. Elle avait la force des nains dans ses veines et la timidité n'était pas vraiment dans leur caractère. Mais elle avait aujourd'hui et pour les jours à venir à faire ses preuves. Il ne s'agissait plus de se ridiculiser ou quoi que ce soit, il s'agissait de mener deux peuples de tout temps ennemis à signer une paix définitive.

Les grandes portes de Kazad Duraz se refermèrent derrière Thôrya, Tharor et les neuf membres de la famille Hachesang. Dix étaient prévus au départ mais l'un d'eux était devenu père dans la nuit et, Thôrya ne trouvant pas particulièrement utile d'être si nombreux, lui avait laissé le loisir de rester pour profiter de ce bonheur dont elle-même avait été privée le jour de son accouchement. A cette pensée de ce membre absent et du bonheur qui devait certainement envahir son foyer, une vague sombre coula sur son visage. Mais le reste de sa troupe la fit aussitôt disparaître. Il n'était pas temps de se plonger dan le passé, aujourd'hui, seul l'avenir comptait.

Les premiers heures furent silencieuses. Il n'y avait que Tharor pour tenter quelques débuts de conversation. Thôrya, quand elle ne réfléchissait pas à sa future rencontre avec la Grande Prêtresse, était plongée toute entière dans la contemplation d'un paysage qu'elle admirait pour la première fois. Mais quand le soir tomba et que le camp se dressa pour la première fois dans une clairière, quelques sourirent se dessinèrent enfin. Un nain ne pouvait résister à l'odeur du tabac dans une pipe, aux senteurs de la viande entrain de rôtir et à la promesse de quelques chansons autour du feu. Les nains avaient d'excellentes facultés d'endurance mais la marche avait tout de même été rude. Thôrya ne voulait pas traîner trop en route. Elle avait d'ailleurs pensé un bref instant à prendre des chevaux mais la réticence qu'elle avait vu dans les yeux des hommes à l'évocation de cette idée l'avait faite abandonner. Des hommes et des femmes en fait, car il y avait trois femmes, toutes aussi guerrières et imposantes que les hommes, qui accompagnaient la troupe. Cette touche féminine ne la laissait pas seule et quelques sympathies se firent rapidement ce soir-là.

Le lendemain, le camp fut levé aux premières lueurs de l'aurore, ne laissant que quelques cendres encore chaudes comme preuves de leur passage. Ainsi que quelques os sur lesquels les charognards ne feraient malheureusement pas leur beurre. La tension avait totalement disparue dans la troupe, comme si la nuit avait suffit à effacer les regards d'espoir que le peuple posait sur eux. Les conversations furent nombreuses et hilares. Seule Thôrya continua quelque peu à se tracasser. Ainsi que Tharor dont dépendait le choix. Les Hachesang était une famille surprenante dont les exploits furent longuement contés, au grand bonheur de tous.
Thôrya songeait à la missive qu'un certain pigeon devait maintenant avoir déposée dans le palais des elfes. C'était cette lettre qui lui avait pris une autre partie de sa nuit. Si le langage avait peu de secret pour elle, il n'en était pas réellement de même pour l'écriture et elle avait du s'y prendre à trois fois pour que le tout soit soigné.

"Missive à la Grande Prêtresse elfique Fáliadëa Niodë,

C'est au nom du Grand Molgor que je m'adresse à vous en ce jour afin de vous demander audience en votre palais. Vous n'êtes certainement pas sans savoir l'initiative du Grand Molgor pour tendre vers la paix en Ephaëlya. C'est aujourd’hui à votre porte et sur vos terres qu'il m'envoie afin de vous proposer des temps meilleurs pour les elfes et les nains. Je viens pour vous proposer la paix et négocier un traité qui j'espère pourra vous satisfaire.
Ma troupe est en route pour Ardamir en ce moment-même et devrait y être dans quatre jours. Cette missive précède donc notre venue afin de vous demander accueil et audience.

Par avance tous mes remerciements,
Thôrya Dwiline, diplomate naine."

Les jours suivants se déroulèrent dans la bonhomie. La troupe évoluait bien et n'eut pas à s'arrêter à la frontière. Les bois les couvrirent et personne ne vint leur poser de questions sur leur but. Comme quoi les temps changeaient, comme quoi la paix était possible.
C'est donc bien quatre jours plus tard que les nains posèrent leurs pieds sur les dalles blanches de la cité elfique. Le visage de Thôrya s'illumina d'un nouveau souffle. L'art elfique était trop délicat, trop fragile à ses yeux mais elle en reconnaissait la beauté et la pureté parfaite. L'architecture était d'une complexité subtile et d'une éphémère foie envers la vie. La clarté ne pouvait qu'étonner les regards, pour sûr !
Passé le moment d'admiration, les nains se rendirent surtout compte des regards curieux voir apeurés qu'on leur lançait. Heureusement, la cité était grande et visitée par tous les peuples d'Ephaëlya. Ce qui choquait surtout, c'était leur nombre.
Thôrya décida néanmoins de passer par le quartier du marché, plus peuplé. Elle avait consulter quelques cartes de la cité la veille de son départ. Elle la savait immense et tumultueuse. Elle ne tenait certes pas à s'y perdre, même si le palais se voyait de loin.

Elle accorda une pause aux Hachesang et à Tharor, ainsi qu'à elle-même, avant de se rendre au palais. Histoire que chacun ait le temps de se parer plus proprement que par la poussière du voyage. Elle-même avait emporté une tenue plus stricte mais qui ressemblait fort à sa tenue habituelle ; une tunique bleu foncée, un pantalon de lin et son bracelet de bronze rehaussé à son bras.
La troupe se dispersa sur le marché et tous se retrouvèrent une bonne heure plus tard à la fin de celui-ci. Le calme apaisa l'esprit de Thôrya qui avait traîné entre les étales pleines à craquer durant tout ce temps. Elle avait remercier Morwën de les avoir protéger contre toute attaque durant leur périple. Ce dernier lui semblait maintenant un simple pas, un élément bien peu important dans ce qui allait se dérouler sous peu. Et c'est en se dirigeant vers le palais qu'elle offrit une nouvelle tresse à ses cheveux.