INTRUSION SUR NOTRE TERRITOIRE



" La beauté cache bien souvent des dangers... "

Des grognements, une respiration saccadée, une course folle et des bruits de pas martelant le sol… La bête courrait comme pour sauver sa peau, comme pour tuer sa proie. La silhouette blanche de l’animal filait entre les arbres. Pourtant, la mort ne se trouvait pas à la fin de cette nuit-là. La lune brillait haut dans le ciel, baignant les terres d’Ephaëlya d’une clarté étonnante. Des milliers de petites étoiles parsemaient la voûte céleste, accompagnant l’amante du soleil dans son chemin habituel. Une légère brise faisait danser les feuillages des arbres et sifflait dans les troncs. La louve blanche qui ne s’était toujours pas arrêtée de courir aimait quand les nuits étaient si paisibles. Elle prenait tant de plaisir à se défouler comme si elle était seule au monde. Sa langue pendait de sa gueule, chaque bond lui arrachant un grognement de plaisir.

Elenna finit par s’écrouler dans le sable près d’un point d’eau, allongée sur le côté et son flanc se soulevant au rythme de sa respiration haletante. Un son rauque s’échappait entre les crocs de la louve. Peu à peu, le corps puissant de l’animal se mit à diminuer, à se métamorphoser. Quelques secondes après, une jeune femme avait la place du loup. Se redressant, à genoux et posant ses fesses sur ses chevilles, la chef de meute passa ses mains sur son visage avant de les plonger dans l’eau qui se trouvait face à elle pour recommencer. Après une telle course, rien de mieux qu’un peu de fraîcheur. Elen se remit debout, sa silhouette nue éclairait par la lumière de la lune, et se glissa doucement dans l’eau. Elle avait laissé le camp sous les ordres d’un sage et profitait un peu. Les yeux fermés et se laissant aller dans l’eau, la tranquillité de la demoiselle allait être bien vite dérangé…

Tout le corps de la belle flottait à la surface quand un fumet vint titiller son odorat. En réaction, ses yeux s’ouvrirent d’un coup, la rage brillant dans son regard. Une personne qui n’était pas de sa race venait de pénétrer sur son territoire sans autorisation et semblait si promener sans se soucier réellement des meutes. Elenna grogna, se redressa vivement et sortant de l’eau. A peine un pied posé sur le rivage, la belle louve blanche refit son apparition. Haute sur pattes, plus grande que la moyenne des lycans, aux muscles sinueux et à la gueule cruelle, il ne fallait mieux pas se fier à son doux regard bleu, chaque intrus qui ne respectait pas ses terres était un ennemi. La chef de meute reprit sa course, mais cette fois-ci dans un tout autre but…

Pistant le vampire qui se baladait dans son territoire, la belle remarqua une odeur lycanne mais celui-ci ne faisait pas partie de sa meute. Une autre meute avait-il envoyé un de ses loups à la poursuite du cadavre sur pattes ? Accélérant l’allure, les parfums des inconnus chatouiller son museau alors ils ne devaient plus être très loin. Se tapissant dans les fourrés, Elen se rapprochait d’une petite clairière qu’elle connaissait bien. D’ailleurs, allongée sur le sol et scrutant les lieux, la louve distinguant plusieurs silhouettes qui se faisait face. L’odeur du sang était aussi présente. Un corps séparé en deux et à la tête détachée gisait dans son propre sang. Heureusement, le lycan se tenait toujours debout et le fumet du sang n’était autre que celui d’un vampire. Cependant, il en restait encore trois. Comment ces quatre suceurs de sang avaient bien pu oser attaquer un loup sur son territoire ? La louve grogna doucement. L’inconnu n’allait pas faire longtemps face à trois vampires, surtout si ces femelles attaquaient en même temps. Et merde… Elle allait encore se retrouver nue devant des gens qu’elle ne connaissait pas. Reprenant forme humaine et se redressant, la jeune femme aux cheveux couleur neige s’avança doucement, le visage dur et froid sans se soucier des regards affamés qui se posèrent sur elle. Malgré sa nudité, sa stature et sa démarche laissaient à prévoir qu’elle ne se laisserait pas marcher sur les pieds.

" Mesdames… Vous êtes sur mon territoire et je vous demanderai de partir. De suite. Ou alors je me devrais de… Bah en fait, je devrais tout simplement détacher votre tête de votre corps pour les manger au petit déjeuner. "

Légèrement en retrait derrière l’homme, Elenna s’était arrêtée, fixant les trois femmes déjà mortes pourtant. L’odeur était tout simplement dégoutante et lui prenait tout le nez, son odorat étant totalement perturbée par leur parfum nauséabond.  Les vampires la fixèrent un instant avant que l’une d’elle parte d’un rire sadique, rejetant sa chevelure blonde en arrière. La chef de meute leva les yeux au ciel, agacée, et sachant déjà ce qu’il allait se passer. La blondinette reposa son regard rouge sur elle et lui sourit, dévoilant ses crocs. Sa voix se voulait envoutante mais ce n’eut aucun effet sur la louve.

" Crois-tu vraiment que nous souhaitons partir ? Je dois avouer que tu es tout à fait appétissante. Tu seras donc notre dessert belle louve. "

" Soit. Je prends donc cela pour un non. Ravie de vous avoir rencontrées. "

Un sourire éblouissant se dessina sur son visage, ses lèvres se retroussant sur ses dents blanches et un doux grognement ronronnant dans sa poitrine. En une fraction de seconde, l’animal qui se cachait en elle reprit le dessus, la louve apparaissant aux regards des autres. Les vampires rirent encore, agaçant toujours plus la chef de meute. Elle n’avait même pas accordé un mot ou un regard à l’autre lycan, mais il avait intérêt à suivre. Contractant ses muscles et grognant plus fort, ce fut comme le signal et les cadavres se jetèrent sur les deux lycans. L’alpha fut bientôt submergée par deux des vampires, l’autre loup se prenant de plein fouet l’une des suceuse de sang…

" Les hommes mentent quand ils assurent qu'ils ont horreur du sang... "

Tout était allé si vite. Les grognements et les bruits des coups qui fusaient dans le vent avaient remplacés le silence pesant de la petite clairière. Les vampires n’avaient pas saisi la chance que leur avait offert la chef de meute, c’était leur choix mais tant pis pour elles. Elenna était une rose. Belle en apparence, mais qui s’y frottait, s’y piquait. Et bien vite, les suceuses de sang s’en rendraient compte. Les silhouettes blanches avaient bondi sur les deux loups en même temps, cherchant à faire des bêtes leur repas. Ne disait-on pas que les vampires ne supportaient pas l’odeur et le goût du sang de lycan ? Celles-ci ne semblaient pas s’en soucier et comptaient bien vider les canidés de leur liquide vital, jusqu’à la dernière goutte.

Elenna avait senti le regard de l’autre lycan sur elle, mais au mauvais moment bien entendu. Ces hommes… Tous les mêmes ! Si la situation n’avait pas été celle actuelle, la belle louve au pelage couleur neige aurait certainement ricané, se moquant de son congénère mais si celui-ci s’était pris de plein fouet une vampire, la demoiselle avait pour adversaire le double. Deux pour le prix d’un ? Soit, elles mourraient ensemble alors. Si ce n’était pas mignon, solidaires même dans la mort, leur seconde mort. Beurk, cette pensée tira un frisson à la chef de meute mais l’heure n’était pas à la réflexion. L’odeur du sang de l’autre lycan venait de titiller les narines d’Elen mais elle ne s’en soucia pas plus que cela. Elle évaluerait les dégâts quand elle aurait sauvé sa peau. Œil pour œil, dent pour dent, pour le moment du moins.

La première ennemie venait d’asséner un coup de poing dans le museau de la louve qui grogna sous la douleur avant de répondre avec sa gueule, planta ses crocs dans le bras qui venait d’oser la frapper. Ce fut rapide mais le cadavre cria. Touché ! La lycanne fit un bond en arrière, esquivant les mains et pieds qui essayaient de l’atteindre. Plus elle glissait sur le sol, plus sa fourrure blanche prenait la poussière et devenait grise. La louve et les vampires grognaient à chaque assaut, s’échangeant des coups au fur et à mesure. Si cela continuait comme ça, Elenna serait bientôt en position de faiblesse. Si elle possédait des pattes et crocs puissants, les femmes étaient deux face à elle et le match n’était pas équitable. Elle ne tarderait pas à sombrer sous les frappes.

D’ailleurs, sa respiration se faisait de plus en plus saccadée et son agilité semblait prendre un coup. En effet, ses bons étaient moins grands et sa rapidité diminuée. Il fallait qu’elle fasse quelque chose. Malheureusement, le temps de cette réflexion, l’une des sang-froid la saisit alors qu’elle avait essayé d’esquiver de nouveau dans un ultime saut. Entourant ses bras autour du corps fin et puissant de la louve, la vampire serra pour couper le souffle de sa victime qui couina de douleur lorsqu’elle sentit une de ses côtes se briser sous la pression. La seconde vampire la regardait avec avidité, sûre d’elle. Ses muscles se bandèrent mais elle fut stoppée dans sa lancée lorsque l’odeur du sang emplit un peu plus l’atmosphère. Elen fut soulagée de sentir que le sérum n’était pas celui d’un lycan mais bien d’un suceur de sang.

Celle qui était debout face à la louve se décomposa littéralement, se retournant pour voir sa sœur mourir et la pression sur le corps de la chef de meute se fit plus faible. La louve en profita alors pour bondir sur le dos de la plus grande. Ses deux pattes avant la plaquèrent au sol et sans rechigner, avant qu’elle n’ait le temps de réagir, la lycanne arracha la tête de la vampire avec sa gueule. Le sang se mit à couler à flot, éclaboussant la fourrure de neige et pénétrant la terre maintenant marquée par le combat. Le silence se fit à nouveau dans la clairière alors que la dernière ennemie se tenait au milieu de celle-ci, droite, bouche bée et les larmes aux yeux. Elle savait que c’était la fin, qu’il fallait qu’elle sauve sa peau…

Faisant volte-face, la vampire se mit à courir alors que les deux lycans s’élançaient à sa poursuite, l’un sous forme humaine, l’autre sous forme animale. Chaque bond de la louve lui arrachait un grognement de douleur, sa côte brisée la faisant souffrir mais elle ne laisserait pas celle qui avait souillé ses terres s’enfuir comme si de rien n’était. Plus rapide que l’homme, Elenna planta ses crocs dans le mollet de la femme à la peau blafarde après l’avoir rattrapée. Celle-ci vola l'espace d’un instant avant de s’écraser sur le sol poussiéreux. Le jeune homme n’avait plus qu’à porter le coup final…

" La mort a toujours tort. "

La fourrure blanche de la louve était tâchée d’un sang qui n’était pas le sien. Animal élégant et que l’on pourrait confondre avec une peluche, Elënna affichait un air plutôt sauvage et affamé, voire dangereux maintenant qu’on l’avait provoqué sur son territoire. Un grondement sourd résonnait dans sa cage thoracique. Si le lycan avait voulu lui laisser la vie sauve, il devait aussi savoir que la décision ne lui appartenait plus maintenant qu’il avait pénétré sur les terres de Sang-Chaud et qu’il était à présent en compagnie de la chef de cette meute de Thaodia. Le camp avait perdu de ses forces et en reprenant la tête de celui-ci, la belle avait promis à la meute de lui redonner son ampleur d’autrefois. Les vampires avaient toujours méprisé les loups et ne devaient pas se sentir supérieur s’ils étaient sur le territoire lycan, ils devaient en avoir peur. La mort de ces trois femmes serait donc un bon moyen de prévenir la race buveuse de sang qu’ils n’étaient pas les bienvenues si leurs intentions étaient mauvaises…

Les crocs de la louve s’étaient plantés dans la chair comme dans du beurre, s’enfonçant dans le mollet avec une facilité déconcertante. Le sang emplit la gueule de l’animal ainsi que ses sens. Le liquide vampirique était très mauvais pour les lycans et les rendait malade, aussi devrait-elle éviter de la tenir ainsi, clouée au sol, trop longtemps. Pourtant, l’hémoglobine se déversait dans la gorge de la chef de meute sans qu’elle puisse réellement y faire quelque chose, attendant que l’autre lycan mette fin à tout ce petit manège. La tête commençait à lui tourner légèrement, la forçant à resserrer son emprise sur la jambe de la vampire qui émit un grognement de douleur. Heureusement, le guerrier prit le monstre par les épaules, la mettant sur le dos, la louve relâcha sa proie. Mais le sang lui montait à la tête. Les légendes disaient vrai. Les « morts-vivants «  ne pouvaient boire le sang des lycans mais l’inverse était vrai aussi. La femme feula quelques mots sur l’homme, mais Elen était trop abasourdie pour les comprendre.

" Tu n'aurais jamais du t'aventurer sur nos terres avec des intentions hostiles toi et ton groupe. Il est temps d'en finir. "

Là, la chef de meute avait compris. Nos terres ? Cet état d’esprit laissait à penser que le lycan était un solitaire. S’il avait fait partie d’une meute, il aurait cité le territoire de Sang-Chaud et non la région de Thaodia en elle-même. Etait-il de ceux qui pensaient que toutes les meutes devaient n’en former plus qu’une ? Préférait-il ne pas vivre auprès de ses semblables, ayant pour seule amie la solitude ? Ou cherchait-il tout simplement une meute à rejoindre ? Les questions ne bousculaient dans la tête de la jeune femme alors qu’elle semblait la perdre justement. Le lycan, au-dessus de sa victime, appuya sa paume sur le front de la vampire, maintenant ainsi sa tête contre le sol froid. La peur pouvait se lire dans le regard plein de haine de la buveuse de sang. L’homme saisit sa dague en argent et trancha net la gorge, le sang jaillissant, marquant le sol comme pour prouver que la mort avait bien fait son travail dans ces bois.

" Je vous remercie pour votre aide. La situation aurait pu être différente sans votre intervention et je ne sais pas si elle aurait été à mon avantage. Laissez moi regarder ça. "

Les deux lycans avaient regardé le corps se vider de son sang, secoué par une ou deux convulsions. Le lycan avait essuyé son arme, Elënna en profitant alors pour s’allonger sur le sol, le regard flou et prise de nausées. Décidemment, le sang de vampire et le loup ne faisait pas bon ménage. Elle avait toujours entendu dire que boire une quantité importante du sang vampirique pouvait tuer un lycan. A vrai dire, perdue dans le feu de l’action, la chef de meute avait laissé le sang de la vampire couler à flot dans sa gorge sans s’en rendre réellement compte. La jeune femme se sentait incapable de répondre à l’homme, son corps animal défaillant peu à peu.

" Je suis Folker Vimund, et vous, vous devez faire parti de la meute Sang-Chaud si je ne me trompe au vu de votre présence ici en cette heure ? "

Elënna n’eut plus assez de force pour rester sous forme lupine et faire reculer l’homme qui s’approchait d’elle. Si elle ne le connaissait pas, elle n’était pas en position de force. Ce fut alors, recroquevillée, nue sur le sol que la belle se retrouva. Heureusement, sa plus fidèle alliée ce soir-là était la nuit et l’ombre des arbres sur elle, cachant un minimum son corps, seule sa silhouette blanche se détachant du fond noir des bois. Le sang était encore présent sur sa mâchoire, glissant dans son cou et sur sa poitrine, ses mains étant marquées de la même couleur vive. Quelques-unes de ses mèches de cheveux blancs trempaient allègrement dans un sang qui n’était pas le sien. Grognant sans répondre au lycan, la jeune femme passa ses mains sur son visage, essayant de retrouver contenance face à l’homme. Pourtant, elle ne se sentait pas la force de se relever, son énergie semblant quitter son corps peu à peu.

" Ne me remerciez pas, je n’ai fait que mon devoir. Mais il est certain que sans moi vous ne seriez plus là… Un son rauque s’échappa de ses lèvres alors qu’elle avait bougé légèrement. Je crois que j’ai une côté cassée, vous ne pourrez rien y faire. Cependant, je dois me reposer quelques minutes,  j’ai ingéré beaucoup plus de sang vampirique que l’organisme des lycans ne le permet. "

D’un signe de tête, Elënna invita le fameux Folker à s’approcher. Après tout, elle n’y perdait rien à ce qu’il l’examine. Il devait certainement avoir déjà vu des femmes nues dans sa vie, surtout parmi les lycans. La nudité était une chose que l’on ne remarquait presque plus car lors de la transformation, tous les vêtements disparaissaient comme par magie. Alors qu’il s’approchait, la voix de la chef de meute se fit plus douce, plus faible.

" Je m’appelle Elënna… Sang-Chaud oui. La chef. "

Sur ces deux derniers mots, ses yeux se révulsèrent et son corps s’écroula au sol alors qu’elle tombait dans l’inconscience…