Un vent d’une terrible fraîcheur fit voleter la longue chevelure aux reflets de jais de Lathus. Le jeune homme en avait plus qu'assez de cette équipée en solitaire dans cette contrée si hostile. Il ne comptait plus les jours depuis la dernière fois qu'il avait serré dans ces bras l'une des modestes jeunes femmes qui peuplaient les quartiers de la Capitale de la Contrée des Humains. Il tâchait de ne point avoir énormément de relations physiques avec une femme, cependant il ne pouvait s’en empêcher et ce malgré le fait que sa charmante petite Naralith ne cessait d’occuper ses pensées les plus sombres, les plus folles… Il la voulait comme un damné mais il ignorait totalement où elle se trouvait désormais… Bref, revenons à ses conquêtes passagères d’une nuit… La dernière d'entre elle était une humble fille de marchand, dont l'entêtant parfum n'avait cessé de le hanter. Même ici, même au beau milieu du territoire le plus hostile d’Ephaëlya en l’occurrence la contrée des Vampires, il gardait en lui la souvenance de sa fragrance, comme un rempart face à l’agression de ses sens les plus actifs. Seuls ses yeux semblaient s'en donner à cœur joie. En ce pays de nuances entremêlées et de jaillissements, ses yeux, avec l'aide des ustensiles de sa création, étaient en mesure de percevoir la beauté sauvage de ce pays. Un pays dont on disait les habitants aussi rudes que la sécheresse de ses sols. Le jeune homme appréhendait quelque peu de rencontrer des vampires mais il savait que tôt ou tard, il allait se retrouver face à l’un d’eux… Pourquoi diable, avait-il décidé de se rendre dans un territoire aussi hostile que la Contrée de Mavréah ? Eh la réponse était toute simple, il avait eu vent d’informations qui pourraient lui être utiles dans la quête qu’il menait depuis tant de cycles…

Voilà bien des jours qu’il se trouvait dans la Contrée de Mavréah et ce jour-là, le jeune homme avait fait halte dans un village vampire, mû par la curiosité, et n'y avait trouvé que de biens piètres forges. Les épées, quoique de bonne facture, lui avait semblé au combien grossières et indignes des guerriers humains ou même elfiques. Pourtant, il n'avait pu qu'être admiratif de l'ardeur au travail de ces Vampires, que l'on devinait tout autant guerrier que forgerons. Leurs cœurs semblaient brûler avec autant, si ce n'est plus, d'ardeur que les foyers des incendies dans lesquelles ils plongeaient leur fer. Ils l'avaient impressionné, et presque touché, lui qui ne s'émouvait pourtant que des ouvrages d'excellence, qu'ils soient de la main d'êtres conscients ou fruits d'une nature bienheureuse. Cependant, il ne s’était pas trop attardé dans ledit village car il craignait d’être démasqué et croyez-le, il ne souhaitait guère finir en diner pour ces idiots de suceurs de sang… Il était dans cette contrée hostile car il avait des choses à accomplir et rien ni personne ne l’empêcherait… Tous les jours, il profitait des journées afin de continuer sa progression, en effet, d’ordinaire il errait de jour comme de nuit mais depuis son arrivée dans la contrée de Mavréah, il ne pouvait faire des pas sans le maximum de circonspection la nuit tombée… C’était comme si on se jetait inconsciemment dans la « gueule du loup »… Mais tant pis les conséquences ! Ses pas l’avaient mené jusqu’à la forêt des Murmures, une forêt de bien triste renom…

Lathus contemplait la vaste étendue sombre de la tristement célèbre forêt des Murmures. Du fait de sa nature d’elfe, il se sentait irrévocablement attiré par la tentation de pénétrer dans cette grande forêt mais son côté humain lui dictait autre chose, parce que ladite forêt ne semblait guère accueillante… Il faisait un noir très sombre et le pire, c’était qu’il se trouvait sur la contrée des êtres les plus méprisables d’Ephaëlya… Néanmoins, l'ensemble pouvait paraître tout à la fois d'une beauté poignante ou d'un sinistre sans pareil. Et autant dire que pour le jeune homme, cela revenait au même. L'impression d’expansion exponentielle que ce paysage lui infligeait transcendait tout simplement la beauté et l'horreur, effaçant ces deux sentiments par la même occasion. L'air de la forêt, ô dieux, si sombre, semblait appeler. Qui, il ne savait pas trop, mais cet appel lancé à la ronde avait transpercé son cœur meurtri et le sommait d'avancer afin qu’il puisse s’enfoncer à l’intérieur. Pourquoi était-il ici ? Il n'avait rien à faire là. Cependant, l'appel de la Nature était... fort. Trop fort. Il lui fallait aller voir de plus près, plus en profondeur... Et tant pis pour les avertissements des anciens, tant pis pour les monstres que l'on prétendait tapis en son sein, à l'affut des voyageurs imprudents. S’ils n’avaient jamais existé, il les craignait bien moins que l'impression de désespoir que dégageait cette forêt si lugubre…

Il se maudissait d'avoir laissé ses émotions prendre le pas. Son dernier combat l'avait mis à bout de nerfs, moins physiquement que moralement. Les derniers mots de son adversaire l'avaient troublé et il n'avait pu s'empêcher de ressentir quelques estimes pour cet homme qui avait si courageusement fait face à sa propre mort, quand bien même ses actions passées avaient été des plus déshonorantes. Les derniers de ce dernier ressemblaient étrangement à ceux profanés par les meurtriers de ses parents lorsqu’ils avaient rendu leur dernier soupir… Bref, non content de pénétrer en territoire potentiellement hostile, et qui plus est seul, il avait décidé de s'enfoncer plus loin encore à l'intérieur de ce territoire. Pourquoi ? Peut-être pour comprendre. Le jeune homme avait abandonné toute prudence pour voir et en juger par lui-même. Autant dire qu'il n'allait pas être déçu ! Il s’enfonçait de plus en plus dans la forêt, ses sens de plus en plus en alerte… Autant dans la forêt du Crépuscule, il se sentait dans son élément, autant en ces lieux, il se sentait perdre ses moyens… Il déglutissait longuement… Mais que diable cherchait-il à prouver ? Il était vraiment fou de se retrouver en ces lieux !

Il s'était alors ressaisi, comprenant qu'il avait laissé bien trop loin derrière lui les frontières de sa propre contrée, malgré le fait qu’il ne connaissait que le vagabondage... Une peur sourde s'était emparée de lui et il avait dû lutter tant bien que mal contre ce sentiment naissant de panique. Il commença à descendre, d'un pas prudent afin de ne pas risquer la chute, et peut-être aussi une stupide blessure qui le mettrait à la merci des prédateurs et des individus malintentionnés qui pouvaient passer ici. Il s'y prenait assez bien, et en silence en plus. Du moins jusqu'à ce qu'il marche sur une branche traînant négligemment à ses pieds. Un craquement remplit l'air et aussitôt, il dégaina son épée afin de se préparer à un possible affrontement… Il attendait que la chose qui venait de faire ce bruit vienne à lui, il demeurait aussi silencieux qu’un défunt !

Le jeune hybride était toujours en posture de protection maximale et attendait silencieusement, avec circonspection que la chose qui venait de produire ce bruit qui l’avait fait sursauter daigne finalement se montrer. Soudain des mots jaillirent dans la nuit tombante. La voix semblait à première vue douce, caressante mais elle ne masquait le fait qu’elle était emplie d'autorité, cassante. En effet un individu aussi attentif que Lathus ne pouvait manquer de percevoir la rudesse et l’autorité que dissimulaient avec peine ce semblant de douceur… Ce devait être une personne importante de cette nation vampirique, car il savait qu’il ne rencontrerait guère des humains en ces contrées… Il se retourna rapidement sans baisser sa garde… Il tenta tant bien que mal d'apercevoir la femme, car il s'agissait bien d'une personne du sexe opposé, qui le hélait ainsi. Il se tendit par réflexe, ne sachant si cette personne envisageait de l'attaquer et de toute façon, se trouvant au cœur de l’une des forêts les plus hostiles de tout Ephaëlya, il ne pouvait que se méfier de tout. Malgré sa vue médiocre la nuit tombée, il parvint à s'habituer un peu plus à l'obscurité qui s'amplifiait à chaque minute qui passait. Il s'aida de magie pour modifier les propriétés des verres, sans que cela soit seulement perceptible pour son interlocutrice, et il put voir cette dernière. Elle était jeune, mais il ne fallait pas qu’il fasse confiance aux apparences parce que son apparence de jeune fille, il savait que la personne qui lui faisait était une vampire… Elle devait être très âgée non ? Même si pour sa part, il savait qu’il atteindrait des âges avancés, il ne parviendrait jamais à atteindre l’immortalité comme les autres personnes de la race elfique dont il possédait quelques particularités, étant donné qu’il était le fils d’une union Elfique et Humaine… Bref, revenons à la Vampire… Lathus la trouvait plutôt agréable à regarder, ce qui ne lui échappa pas. Mais c'était une beauté blanche, que l'on eut pu facilement croire émergée de la nuit même tel un ange des cieux venu éclairé la nuit noire. Tout, de sa tenue à sa longue chevelure, rappelait les nuits brillantes de lumière blanche.... Le jeune homme déglutit. Ne jamais se fier aux apparences : toute jeune et gracieuse qu'elle paraisse, la Vampire pouvait ne pas moins être une combattante redoutable. Autant ne pas la brusquer ! De ce fait, il inspira longuement avant de prendre la parole d’une voix d’un calme qu’il tentait tant bien que mal de contrôler :

« Bonsoir très chère, que puis-je pour vous ? Je me vois navré de vous avoir dérangée… »


Il n’avait pas peur d’elle, néanmoins il se devait de se montrer très prudent. Il n’hésiterait pas à employer sa magie mais il n’avait jamais utilisé la magie de l’eau contre les Vampires… Par conséquent, il ignorait totalement les effets de l’eau sur cette race puissante et noble… Dommage qu’il ne pouvait utiliser le feu car il savait totalement que cet élément était le pire ennemi de nos très chers vampires et qu’ils le redoutaient plus que tout… Il ne connaissait nullement la personne en face de lui, ne lui voulait aucun mal et, par-dessus tout, n'avait pas envie de souiller à nouveau ses mains du sang des enfants de Mavréah. Aussi s'avança-t-il à l'invite de son interlocutrice, décidément si obligeante envers un pauvre voyageur égaré malgré le fait qu’elle pouvait se sentir dérangée. Dérangée dans quoi ? Il ne le savait pas mais il pouvait le sentir en elle. Quelque chose n'allait pas... Et cette sensation de malaise ne venait sûrement pas de la Vampire... Ou peut-être que si, en fin de compte mais il ignorait ce qu’elle signifiait… Il sentait de plus en plus que les minutes passées dans cette contrée hostile l’atteignaient de façon à vouloir le détruire… Il ne tiendrait pas longtemps s’il devait engager le combat contre cette dame face à lui… Elle sentait le sang ! Pas le sang coulé par les vampires afin d’étancher leur soif mais plutôt le sang versé par des meurtres… Il déglutit lorsqu’il comprit qu’il faisait face à une assassin vampirique… Néanmoins, il reprit de nouveau la parole :

« N’ayant nullement l’intention de prendre de votre temps, je me permets tout de même de m’introduire. Je me nomme Lathus Grethar et comme vous l’avez sans aucun doute constater, je suis un simple humain errant dans vos contrées à la recherche de réponses et non pas à la recherche de combats… D’ailleurs, afin de vous montrer que mes intentions sont parfaitement honorables, je vais de ce pas rengainer mon épée à son fourreau… »

Sur ces mots, il remit Trooz dans son fourreau et il reporta son attention sur son interlocutrice… Il était désormais sans défense et totalement à la merci de la Vampire…

Lathus avait l'impression que la jeune femme le regardait avec trop d'insistance. Il semblait être déshabillé par son simple regard… Il déglutissait mais parvenait à soutenir son examen corporel… Cette vampire ? Mais diable où avait-il pu déjà la voir ? En effet, sa tête lui rappelait vaguement quelqu’un… Se pouvait-il que la personne en face de lui ne soit pas tant une inconnue qu'il le pensait ? Il était assez intrigué. Sans doute se faisait-il des idées. Que connaissait-il des Vampires au final ? Quoi, sinon des monceaux de texte accumulés par des érudits Humains et d’autres peuples pas forcément des plus objectifs ? Qui, sinon les quelques commerçants venant s'échouer aux portes d’Oryenna et les traîtres qui tentaient de s'en prendre aux humains afin de s’abreuver de leur sang? Comment aurait-il pu connaître la jeune femme, cela n'avait pas de sens. Aucun des registres des personnalités ne faisait référence à cette vampire qui lui faisait face mais elle semblait être une personne importante. Il se montait la tête une fois de plus, comme à son habitude. Et cela l'horripilait plus que jamais. Il n’avait guère eu de la chance de tomber sur quelqu'un à cette heure si tardive de la nuit, en un lieu que la prudence n'indiquait pas forcément. Il n’avait pas la chance de pouvoir passer la nuit dans une sécurité relative et, qui plus est, avec une assez charmante personne. Pourquoi tenait-il toujours tant à empirer l'instant par ces réflexions parasites, sans objet ni fondement ? Bref, il la regarda droit dans les yeux tout en attendant patiemment qu’elle daigne lui répondre…

Lathus se détendit aux dires de la vampire. La vampire n'avait visiblement aucune envie de lui faire du mal, comment le savait-il ? Parce qu’à la façon dont elle avait posé la question s’il était simplement, on pouvait facilement percevoir du dégoût, ce qui lui prouvait qu’elle répugnait les elfes… Dans ce cas un point pour lui et il ne serait pas tué, même s’il ne se serait guère laisser faire. Mais, il aurait été bien en peine de devoir l'affronter. Bien que son adversaire était l’une des membres de la race la plus puissante du Monde, il n'en demeurait pas moins un jeune Homme, encore tout pétri d'idéalisme, et il répugnait à porter la main sur une femme, quand bien même cette dernière se révélerait la plus féroce combattante de Mavréah. Cela n'avait rien à voir avec la galanterie ou quoi que ce soit de ce genre, mais bien au fait que le jeune Grethar connaissait la valeur d'une vie et répugnait à couper la tige d'une pousse. Les vampires qu’il avait tués jusqu’à présent avaient été ses ennemis, et il les avait tués, mais ils avaient des crimes qui méritaient ce châtiment suprême qu’était la mort !. Et pour les avoir personnellement défié, il avait en fin de compte mérité un juste châtiment. Il ne connaissait nullement la personne en face de lui, ne lui voulait aucun mal et, par-dessus tout, n'avait pas envie de souiller à nouveau ses mains du sang des enfants de Mavréah, même s’ils étaient pire que dangereux ! Il inspira légèrement avant de répondre sans quitter le regard de son possible adversaire :

« Vous êtes très perspicace, très chère. Parce que peu de personnes savent reconnaître en moi, ma seconde nature… En effet, vous n’êtes guère la première personne de votre nation que je rencontre dans ma vénérable vie… Bref, oui comme vous avez sans aucun doute deviné, j’ai du sang elfique qui coule dans mes veines de par ma génitrice qui fut une Elfe… »


Il se tut et alla s'assoir, à une distance respectueuse de la Vampire, sans toutefois s'en éloigner beaucoup. Il s'était juste placé hors de sa portée, ce qui lui semblait un éloignement adéquat. Ses pensées vagabondèrent plus vite encore lorsqu'il eut plongé le bout de ses orteils dans l'eau glacée qu’il avait créée grâce à sa magie. Il avait fait cela instinctivement, dénudant ses pieds meurtris par la longue route, et le froid avait réveillé la douleur, et même temps qu'il la transcendait. Il était à présent plus réveillé, moins morose, mais la ronde folle de ses songeries intimes n'en demeurait pas moins vive. Il ne savait trop que dire à la Vampire mais savait qu'il ne pouvait rester plongé dans ses pensées et l'ignorer. Elle ne semblait pas être en voie de le tuer et donc il se devait de fraterniser quelque peu, s'il ne voulait courir le risque de passer pour un rustre. Il jeta un coup d’œil alentour et entendit une sorte de grognement provenant du cœur de la forêt... Mais instinctivement, il sut que c'était bien autre chose... En tant que membre d'un peuple élu des Dieux, Lathus sentait son subconscient se dresser contre ce qui lui semblait une abomination mais l’homme chassa ces sombres pensées pour ne voir que son interlocutrice... Et cette simple constatation l'amena à se sentir plus détendu, en même temps qu'un scepticisme plus grand s'emparait de lui. On lui avait enseigné que les vampires étaient une noire abomination, une puissance contre-nature, un blasphème contre les Dieux. Et pourtant, il ne percevait aucun mal en cette personne, du moins pour le moment… Il devait briser le silence, vaille que vaille, ce silence pesant qui s'était installé après qu’il eut répondu. Il voulut dire quelque chose d'intelligent, d'intéressant... mais échoua lamentablement.

« La forêt des Murmures… Je ne l'avais jamais vu auparavant. Une merveille, vraiment. et ces bois, d'un noir si profond... »


Quel idiot ! Il devait vraiment être mal à l'aise pour sortir de telles banalités. Et par-dessus tout, il en oubliait le principal.