« Pourquoi es-tu venu me chercher, tu t’inquiétais ? Je peux me débrouiller un peu par moi-même quand même, mais merci. »

Ayant arraché une cuisse du porc, croquant dedans, Daren leva son regard vers celui de Saruwatari. Elle était entrain de glousser sous couvert de sa viande. Il redressa un sourcil. Quoi ? C’était si drôle de le voir manger sa viande ? Il lança un regard emplit de vengeance au truc de poils qui dévorait son bout de viande gracieusement offert par sa maîtresse. Soudain, Saruwatari lui posa une question qui le rendit encore plus bougon.

- ... C’est pas moi qui m’inquiétait... C’est ton truc pleins de poils qui n’a pas arrêté de me tanner pour qu’on te cherche... Il couinait et s’agitait comme un dingue... Alors pour qu'il me lâche, je suis allé voir où tu étais...

Se renfrognant, il se retourna avec sa carcasse pour l’éventrer sans qu’elle le voit directement. Il cherchait le cœur de l’animal. Farfouillant dans la cage thoracique, il finit par l’empoigner à pleine main et le sortit, le dévorant doucement afin de savourer chaque bouchée. C’était son petit plaisir personnel et ça il ne le laisserait pour rien au monde. Tuzan lui disait qu’autant le cœur était savoureux à souhait, autant le symbole qu’il représentait lorsqu’on l’ingérait était rempli de sens et même parfois avait un caractère sacré. Il lui avait même conté, en cette occasion, des histoires d’ancêtres lycanthropes qui disaient que dévorer le cœur d’un Être c’était absorber sa force. L’idée le fit sourire et il se leva pour éloigner la carcasse des couches pour éviter l’odeur désagréable que l’humaine aurait pu lui reprocher. Il en resterait demain pour le petit déjeuner. Se faisant il toisa du regard la boule de poils, pour l’avertir que s’il tentait d’en profiter pour en piquer un bout, c’était lui qui servirait de dîner.

Laissant Saruwatari se reposer, il se dirigea vers l’entrée, histoire de respirer l’air frais et lui donner de quoi avoir un petit moment de tranquillité sans sa présence. Il avait vu et sentit la perturbation qu’il provoquait en elle. Certainement que le fait de l’avoir vu entièrement nue l’avait gêné au plus haut point. Il avait bien compris qu’à ce niveau là, leurs habitudes étaient très distinctes. Les battements du cœur de l’humaine lui avait résonné dans les oreilles, lui donnant quelques contractions musculaires. Cela déclenchait en lui comme une forme d’excitation, probablement due au fait que c’était un prédateur, un chasseur... Une bête. Soufflant un air un peu chaud de ses poumons, il se mit à s’asseoir contre la paroi extérieure de l’abri, songeant à cette situation. Il allait devoir prendre davantage de précaution, ce genre de réaction vis-à-vis d’elle pouvait être dangereuse, et même pire. Il se sentit même en appétit rien que d’y penser. Secouant la tête vivement, il ramena ses genoux sous son menton, écoutant les ricanements de Tuzan dans sa tête. « Elle est la viande et toi les mâchoires ». Daren se mit à se sentir mal à l’aise. Son tuteur le hantait, c’était un fait. Avant, quand ils étaient ensemble, malgré la haine ou la colère qu’il pouvait avoir à son encontre, il continuait de le suivre et de rester à ses côtés, mené par une sorte de force immuable qui le poussait à suivre chacun de ses mouvements. Maintenant qu’il n’était plus là, c’était comme si ce stade était passé à autre chose. Il fallait qu’il trouve un moyen de s’en détacher, définitivement. Il porta machinalement sa main sur son médaillon, soufflant et se calmant. Il y arriverait, quelque soit les efforts à fournir. La fatigue remonta très rapidement, et il ferma les yeux pour s’endormir presque aussitôt, là, dehors, la légère brise soufflant sur la butte.

« Ha d’accord, au moins c’est clair. Merci quand même. »

Son sommeil fut agité, songes, angoisses et cauchemars se mêlèrent pour faire de sa nuit un véritable enfer, et ce n’est que lorsque le cri de Saruwatari retentit qu’il se réveilla, brûlant et en sueur. Il avait serré son médaillon si fort dans sa main que son symbole s’était incrusté dans sa paume. Soufflant, il se leva, retournant dans l’antre pour voir quelle raison avait poussé l’humaine à crier ainsi. Elle était là, allongée face contre terre, et dénudée. Soit elle le faisait exprès, soit c’était la reine de l’équilibre précaire... Ou les deux. Soupirant un peu, il se rapprocha, sans pour autant détourner le regard.

- Besoin d’aide peut-être ?...

Son ton ironique le fit sourire. Cette femelle était une catastrophe ambulante. Il l’observa se dépêtrer tant bien que mal et tourna le dos pour éviter de se prendre une autre remarque quand à sa perversité douteuse. Allant vers la carcasse, il la ramena vers le feu qui semblait bien faible. Se redressant, il tourna la tête vers Saruwatari.

- Je vais chercher un peu de bois sec pour le feu. Prend ma peau si tu veux, pour mieux te réchauffer en attendant...

Il sortit rapidement, échappant à quelques autres remarques désobligeantes potentielles. En réalité, il avait préféré user de ce prétexte pour pouvoir s’éloigner. Il voulait occulter un peu ses mauvais rêves et une promenade dans les bois était toute indiquée pour cela. Inspirant très longuement, laissant son corps et ses sens s’éveiller, il marchait doucement sur le sol un peu gelé du matin. Ca craquait légèrement sous ses semelles. Le soleil n’était pas encore assez haut pour remettre la terre en sol humide et boueux. Le sous-bois était encore sombre, et il usait de son odorat ainsi que de sa vue perçante pour dénicher ce qu’il voulait. Quelques bouts de bois épargnés pas les intempéries ainsi que par le gel. C’était parfait. Satisfait de sa trouvaille, il plaça son bois sous son bras et fit demi-tour pour rentrer à l’abri. Quelques bruits lui parvinrent aux oreilles et il se retourna pour fouiller du regard et du nez les alentours. Son regard grenat parcourut les fourrées et buissons, il avait l’impression d’être observé et n’aimait pas ça du tout. Des odeurs de terre, de pierre et de métal avec quelques sons du même acabit. Ca n’avançait pas vers lui, mais c’était tout proche. Les bois étaient traversés par des créatures dont il ne connaissait aucunement l’odeur. Ce n’était pas comme ces petits Êtres verts qu’il avait tué hier. Non, c’était différent. Il entendit un langage étrange qu’il ne comprit pas du tout, un peu braillard et pestant. On aurait cru plusieurs Saruwatari réunies en bande. Il ne voyait toujours rien, mais à entendre, les Êtres étaient vraiment à quelques mètres de là, s’éloignant vers l’ouest, en direction de la tour selon lui. Il attendit, immobile, pour s’assurer que ces créatures s’étaient éloignées suffisamment. Lorsque plus aucun son ne lui parvint, il se remit en marche, silencieusement. Rentrant dans l’antre, il déposa le bois doucement et ajouta l’un d’entre eux au feu avec précaution. Il ne la regardait pas, concentré, ramenant la carcasse encore plus près des flammes.

- Il y avait du mouvement pas loin, des Êtres qui passaient dans la forêt. Je crois qu’ils sont partis vers la tour qu’on a passé. Je n’ai pas compris ce qu’ils disaient mais leur voix était rauque, comme cassée aussi. Ils devaient transporter des armes au moins, ça faisait un bruit de métal lourd quand ils marchaient.

Il vit le truc de poils revenir, un insecte dans la gueule. La chasse avait été bonne pour tout le monde apparemment. Découpant de la viande sur la carcasse, il se remit à préparer de quoi faire cuire un morceau pour Saruwatari, lui mangerait encore cru ce matin.

- Je ne sais pas trop. On est pas loin de Thaodia, mais cette terre je ne la connais pas. Plus au nord, ça doit-être la terre des elfes, mais je n’y connais rien en frontières de territoire à proprement parlé. Je peux dire à peu près si le territoire est le même avec les senteurs et le terrain, mais ce n’est pas une science exacte.

Finissant de se repaître de la carcasse du porc sauvage, il prit le peu qu’il en restait et sortit pour le balancer plus loin d’un bon élan afin que les charognards ne viennent pas trop traîner ici. Rentrant de nouveau dans l’abri, il s’étira.

- On devrait se remettre en chemin, on n’est plus très loin, peut-être encore un jour ou deux de voyage avant d’atteindre la forêt des damnés.

Rassemblant ses affaires, il remit sa peau et son sac sur son dos, attendant qu’elle termine d’harnacher son cheval et reprenne sa sale bestiole comploteuse. Hors de question qu’il lui serve de perchoir cette fois. Passant devant il se mit à humer l’air puis prit la direction de l’est, ils passèrent de nouveau près du cours d’eau afin que Saruwatari remplisse son outre. La matinée défila, sans aucune embûche. Bientôt ils arrivèrent au bord d’un grand lac, qu’il reconnut sans problème. Oui, ils n’étaient vraiment plus loin de Thaodia. Lorsqu’il était passé ici la première fois, cela ne lui avait pas prit plus d’une journée. Ses estimations restaient donc à peu près correctes. Se retournant, il déposa son sac.

- On peut faire une halte ici si tu veux. A partir d’ici on va pouvoir longer le bord du lac et remonter vers le nord quand on atteindra la grande statue étrange. Ensuite, encore un peu à l’est, on atteindra la forêt de Thaodia.

Déposant ses affaires, il retira son gilet et fit rouler ses épaules. La faim commençait à se faire sentir et le gibier avait l’air assez abondant par ici. Il lança un regard plein de sens à Saruwatari qui détourna le regard aussitôt avant qu’il ne se déshabille. Lui confiant ses vêtements, son brassard et son médaillon à ses côtés, il partit dans le bois pour se transformer.
La bête enfin libérée s’activa pour suivre une piste déjà fraîche. Prudent, silencieux et sous le vent, le loup se rapprocha de l’endroit où il avait flairé une proie. Détendant ses muscles, il se rapprocha aussi sournoisement que possible. Quand enfin la distance qui le séparait de sa victime fut acceptable, il se plaqua sur le sol, avançant encore un peu avant de constater que la dite proie, une jeune biche, était déjà morte. Intrigué et néanmoins méfiant, il se rapprocha doucement pour voir si le cadavre avait été laissé là par hasard ou si c’était un piège. Humant l’air, le vent face à lui, rien ne lui indiquait d’un autre prédateur était dans les parages et il se rapprocha davantage pour prendre possession de la carcasse de biche quand un sifflement se fit entendre avant qu’une douleur cinglante ne lui traversa l’épaule. Le prédateur ne retint pas son hurlement. Puis un cri retentit et voilà qu’un Être de petite taille au poils broussailleux sortit d'un fourré voisin en courant vers lui avec une hache brandit au-dessus de sa tête.

- Saleté d’ophale ! Je te tiens !! YAAAAAAAA !!! Par la force du Grand Nain !!!

Le loup eut tout juste le temps de s’écarter pour éviter le coup, sa blessure saignait abondamment et il n’arrivait pas à atteindre la flèche qui était logée dans son épaule. Le petit Être se redressa, chargeant de nouveau. Le loup fit face, grognant et dévoilait ses crocs. Le poils hérissé et gonflé, il tourna autour de l’Être qui ne le quittait pas des yeux.

- Viens donc si tu l’oses, sale bête ! Sinon c’est moi qui viendrait t’chercher !

Prenant ses appuis, le loup attendit que celui-ci se décide à charger, repérant quelques failles dans son déplacement. Profitant de l’occasion, tandis que le braillard se jetait de nouveau sur lui avec sa hache, il esquiva le coup et renversa celui-ci d’un revers de la patte. Emporté par son élan, la créature perdit l’équilibre et fit un roulé-boulé jusqu’à un tronc d’arbre et s’y cogna avec un grand « BONG » lorsque son casque percuta celui-ci. Ainsi sonné, il lâcha sa hache et le loup en profita pour la lui retirer aussitôt, la prenant dans sa gueule et se reculant avec près d’un fourrée. La douleur le rappela à l’ordre, la flèche s’enfonçait encore dans sa chair. Lâchant la hache et grognant, il changea de forme afin de pouvoir tenter de l’atteindre. S’écroulant à genoux, Daren respirait difficilement. La flèche était trop mal placée pour qu’il puisse l’attraper, même avec sa main, et bouger lui faisait plus mal qu'autre chose. L’Être de petite taille se relevait, titubant un peu mais bien debout. Il était solide... Pour la première fois, Daren se sentit assez vulnérable, et il espérait au fond que cette créature n’allait pas revenir pour achever le travail. Se rapprochant, reprenant sa hache, l’Être vint vers lui en fouillant le fourré, sa hache brandit. Daren se recula encore, mais la flèche lui soutira un grognement de douleur qui suffit à le faire localiser. Le petit Être écarta les branches avec un cri puis se stoppa net en le voyant ainsi.

- Par la barbe du Grand Nain... murmura-t-il avec un accent assez raclant.

Il resta ainsi, la hache au-dessus de sa tête, avec un air indescriptible au visage. Daren sentit sans peine l’alcool qui émanait de lui, soufflant, allongé quelque peu à terre et toujours nu. Apparemment, l’un comme l’autre était tout autant surpris.

Le petit Être se rapprochait encore de lui quand tout à coup il se mit à hurler et s’agiter en tous sens. Daren ne comprit pas tout de suite, avant de voir une boule de poils toute nerveuse s’attaquer aux jambes du dit assaillant. S’en suivit des bruits de sabots de l’étalon qui arrivait d’un bon élan pour le percuter de la tête. Le voici refaisant un nouveau roulé-boulé jusqu’à un tronc d’arbre. Décidément... Daren se redressa un peu, péniblement, avant que Saruwatari ne le rejoigne et ne l’aide. Lorsqu’elle arracha la flèche, il serra les dents mais aucun son ne sortit de sa gorge. Sa fierté en avait déjà prit un coup avec cet état de faiblesse qu’il affichait. Se laissant faire sans un mot, les sourcils froncés, il observait les deux bestiaux tenir le braillard à distance. L’étalon se faisant menaçant tandis que le petit truc de poils se montrait toujours hargneux. Saruwatari lui murmura quelque chose, ce qui le fit grogner alors qu’elle lui serrait sa ceinture autour de son torse.

- Il m’a attaqué... Il pensait que j’étais un ophale... C’est donc ça un nain ?...

- Saletés d’bestioles, braillait le nain, qui tentait vainement de reprendre sa hache, mais l’étalon lui barrait le passage. J’vais pas lui faire la peau à vot’copain !

Le cheval semblait l’impressionner quelque peu, il s’avançait comme pour charger mais se reculait dès qu’il s’approchait trop près de lui. Il lança un regard vers Daren et Saruwatari.

- Par le Grand Nain ! Aussi vrai que je m’appelle Brinn Berkaloc, j’y toucherai pas un cheveux ! Chui pas du genre à assassiner n’importe quoi ! Quelle idée aussi de se balader comme ça en pleine forêt !

- C’est comme ça que je chasse... Idiot...

Se relevant, malgré la douleur, Daren l’avait mauvaise et ça se voyait. Le nain se refusait toujours à faire face à l’étalon, redoutant probablement un autre coup de tête ou pire de sa part. Sa barbe brune tressée et toujours aussi broussailleuse sur les côtés lui tombait jusqu’au dessus du ventre. Son casque était un peu enfoncé là où sa tête avait percuté le tronc d’arbre. Il continuait d’agiter un peu les bras.

- Dites à vot’bête de s’en aller ! Ya ! Tshhh tshhh ! Dégage donc de là toi ! Et toi aussi la teigne !

S’il n’avait pas aussi mal, Daren aurait presque pu en sourire. Mais son orgueil blessé le lui défendit très clairement.

Le nain semblait s’être calmé depuis que les deux bêtes avaient reculé. Il avait apprécié les gestes de Saruwatari à son encontre et souriait maintenant à celle-ci.

- Enchanté mam’zelle Saruwatari Emi, et vous aussi Daren. Désolé pour le... la...

- Ca va c’est rien... J’m’en remettrai très bien...

Mauvais au possible, Daren prit le manteau de Saruwatari en grognant, le revêtant en le fermant un peu. Tant pis pour elle, il allait y laisser son odeur. Lorsqu’elle demanda au dénommé Brinn de partager sa proie, il hocha la tête vivement.

- Pour sûr, j’vous dois bien ça !

Remettant sa hache nouvellement redevenue sienne dans son dos, il empoigna la biche morte et la traîna sans peine. Ce petit Être avait une force assez impressionnante malgré tout. Sur le chemin du retour, Daren resta d’un silence mordant, rageur et haineux même. Il s’était fait avoir comme un débutant, il n’avait pas prit la peine de fouiller les buissons alentours, et maintenant il en payait le prix. Mettant une main dans la poche du manteau, il sentit son médaillon et son brassard qu’il remit aussitôt sur lui. Une fois revenu à leur endroit de halte, un bon feu allumé, Daren se rhabilla, seul, refusant toute aide qu’on aurait pu lui proposer et rendit son manteau à Saruwatari. Blessé par un nain et soigné par une humaine, il manquerait plus qu’il soit attaqué et tué par un elfe ! Le nain posa la carcasse de la biche prêt du feu et lui ôta la peau puis la découpa soigneusement en tendant les morceau de chair à Saruwatari.

- Faites donc cuire cette bonne chair, ça l’aidera à guérir plus vite ce gaillard ! Par l’arc de mon cousin Maltis, j’y aurai regardé à deux fois si j’vais compris que vous étiez un loup-garou ! Mais, comprenez bien que c’est pas ce qui court le plus par chez nous, pour sûr ! Et ces saletés d’ophales nous gâchent la vie, sans compter sur ces fichus gobelins puants !

- Y’a pas qu’eux qui sont puants, marmonna Daren d’un ton bas pour lui-même.

Le jeune lycan resta assis, tournant un peu le dos aux autres, fixant le lac d’un air sombre. Tuzan lui aurait déjà fait revivre sa honte encore et encore, sans pitié... Daren serra les dents, se renfrognant davantage, sans prêter attention aux deux autres ainsi qu’aux bestioles.
Brinn quand à lui se montrait fort amical et bavard en revanche.

- Et comment vous vous êtes amenés par ici ?! C’est pas courant de voir une humaine et un lycanthrope voyager de concert ! C’est pas souvent qu’on visite nos terres, voyez ?!

Ce qui était certain, c’est que ce lui en revanche, il pouvait pas s’empêcher de parler en beuglant...

Non mais quel caractère celui-là alors, je n’allais quand même pas le laisser se trimballer tout nu. Je me tournai vers le nain et inclinai la tête.

« C’est gentil à vous merci ! »

Je suivis le nain et notai l’air de Daren, je gloussai comme une fillette tout en secouant la tête. Brinn était impressionnant et n’avait besoin de nulle aide pour ramener le gibier sur le bord du lac. J’étais soufflée et ravie. Daren me rendit mon manteau que je passai et plissai le nez, il y avait son odeur et fait étrange cela me plaisait bien. Je me tapai le front puis hochai la tête. Je ne fus pas étonnée qu’il se soit rhabillé seul même si cela devait lui faire mal. Il avait encore des choses à apprendre mais je jugeai que ce n’était pas le moment.

« Par contre je pense qu’il préfèrera la manger crue mais je vais faire cuire la notre en attendant. C’est quoi un ophales ? Des gobelins, beurk, Daren m’a sauvée d’eux l’autre jour, ils sont laids à faire peur. »

Je surpris le commentaire de Daren et vérifiai que la viande ne risquait pas de tomber dans les flammes. Je m’approchais de lui pour lui mettre une petite taloche derrière la tête. Le message était clair et je lui tirai la langue tout en lui pressant doucement l’épaule. Ôpoual lui tournait autour de la carcasse attendant que le nain en ait fini pour se l’approprier. Djebel se désaltérait un peu plus loin. Je revins m’asseoir près du feu et levai les yeux sur le nain.

« Et bien je suis en voyage initiatique, je passe le rituel pour devenir adulte. Je suis tombée par hasard sur Daren. Je venais de faire une halte et j’ai vu des géants ! »

Je joignais les gestes à mes paroles et roulais des yeux. Mon furet avait enfin accès à la carcasse et s’en donnait à cœur joie. Cela me faisait plaisir de bavarder avec Brinn, il était différent de Daren sur ce point là. Je lui contai ensuite notre petit périple et la manière dont le lycan m’avait sauvé. J’en profitai pour fouiller ma besace et sortis mon carnet ainsi que de quoi écrire.

- Z’avez du tomber dans un puit d’une ancienne mine. Z’avez eu de la chance sur ce coup là.

Je lui souris et montrai Daren du menton.

« Ma chance s’appelle Daren et c’est un lycan, amusant n’est-ce-pas ? Dites cela vous dérange si je vous dessine ? C’est pour mon voyage. J’aimerai aussi, si cela est possible que vous me parliez un peu des vôtres. Vous êtes le premier nain que je rencontre et les seules choses que je connais de vous sont les contes que l'on m'a racontés. »

Brinn Berkaloc se mit à rire à gorge déployée, tapant un peu sur son genoux tout en bombant le torse.

- Z’avez bien d’là chance d’avoir un bien beau protecteur à vos côtés ! On est jamais trop prudent !

Il se rapprocha, comme pour lui faire une confidence :

- Les ophales, mam’zelle, ce sont des cochonneries que vous en trouverez partout où qu’vous alliez. Ca y ressemble à des loups mais en pire. Z’ont le pelage noir et les yeux du bestiaux qui vous fait voir qu’y vous laissera pas une chance d’y survivre. Vot’copain était bien noir de poils et y avait l’air aussi féroce !

Daren grogna, d’autant plus après s’être prit une tape à l’arrière du crâne. Elle le payera plus tard. Le nain continuait son explication :

- Chui un traqueur de ces saletés, parce qu’y’en a un beau paquet qui s’est installé dans ce coin de forêt et y mène la vie dure à nos camarades qui veulent y passer pour aller à not’ belle tour de garde ! Ce sont pas ces grandes teignes d’elfes d’en face qui nous tiendront le clapet ! J’vous l’dis !

Brinn semblait fort curieux lorsque Saruwatari lui montra son carnet. Quand elle lui demanda si cela le dérangeait qu’elle le dessine et qu’il lui parle des siens, il eut un grand sourire dessous sa barbe.

- Faites donc mam’zelle ! J’ai toujours eu un bon profil ! Et ça s’ra avec un grand honneur que j’vous parlerai de ce peuple courageux, fier et fort qu’est celui des nains !

Pendant qu’elle le crayonnait, il sortit son outre et s’en prit une lampée avant de la tendre vers eux.

- De la bonne bière de chez nous ! Goûtez si ça vous chante ! Elle vous glissera dans les boyaux comme une caresse de fée !

Daren se tourna un peu, prenant l’outre et buvant une gorgée. Il la tendit ensuite à Saruwatari avant de prendre un bout de viande de la biche et de croquer dedans. Ca lui faisait du bien, même si ça lui arrachait un croc de se l’avouer. Brinn se mit alors à parler de son peuple :

- Nous les nains, on est né de la terre, c’est comme ça qu’on raconte dans nos légendes ! Ouais, chez nous ce qui compte, c’est une bonne mine et une bonne bière ! D’ailleurs ça se voit qu’on est fait pour ça ! On peut y voir dans le noir sans problème et on s’oriente sous terre comme si c’était en plein air ! Nous sommes les maîtres de la forge, du minage et pour brasser la bière, rien ne vaut un bon nain ! Regardez ma hache ! C’est du fait maison ! Et ce casque avec cette armure ! Tout pareil ! Y’aura pas mieux à des lieux à la ronde ! Ma bière, faite par mon cousin Lounail ! La grande famille des Berkalocs est une famille réputée pour sa bière et ses talents de pisteurs ! Les miens ont des générations de traque derrière eux ! Notre rôle est d’assurer que les sales bestioles comme les ophales viennent pas taquiner de trop près les nôtres ! C’est ça la famille Berkaloc ! Même nos ancêtres ont été les plus reconnus quand il s’agissait d’affronter les menaces pour Ephaëlya ! Des braves nains ont combattu contre les Titans et encore aujourd’hui leur mémoire est honorée ! Combien nous regrettons encore la mort tragique de notre grande Néhémiah ! Elle savait nous montrer sous not’ plus beau jour ! Heureusement, Mognar Germolish vint en successeur et continua de montrer toute l’essence du peuple nain !

Tout en contant son récit, le nain buvait régulièrement dans son outre. A croire que ça lui donnait une soif constante de tailler la bavette pour l’humaine. Daren continuait de rester muet, mais pas sans être attentif et à l’écoute de ce qu’il disait. Brinn continua encore de parler d’histoires naines et de la gloire de son peuple. Il était vraiment animé d’une émotion particulière, très heureux de parler des siens apparemment. Puis il prit son morceau de viande cuite qu’il dévora avec appétit. Daren fut heureux de constater qu’en matière de repas, il était moins sale que le nain... D’ailleurs il ne manqua pas de lancer un regard à Saruwatari qui avait l’air assez consterné de faire le même constat que lui. Au fond, la compagnie du nain n’avait pas tout de mauvais dans l’affaire. Le repas terminé et un rot de nain plus tard, Brinn se leva en s’appuyant sur sa hache.

- Ca m’a fait plaisir de faire vot’connaissance ! J’espère que vous continuerez vot’voyage sans embûches ! Vous z’allez vers où sans discrétion ?

Daren se levait, détendant ses muscles et évitant de faire trop de mouvements brusques. Il remit sa peau de bête et son sac sur son dos en répondant :

- En Thaodia... On va vers la forêt des damnés...

- L’pays des bougres de lycanthropes comme toi ! Ah ben vous z’avez pas peur ! Remarquez, avec vot’protecteur, vous y risquez moins ! Bien dommage que ça y soit pas sur ma route, j’vous aurai accompagné avec grand plaisir ! Mais voyez, mon travail avant tout ! Bien bonne route à vous et à une prochaine j’espère !

Daren hocha la tête, serrant la main que le nain lui tendait qui s’exclama :

- Par la Barbe du Grand Nain ! Une bonne poigne que voilà mon gars !

Le nain serra ensuite chaleureusement la main de Saruwatari avant de s’en retourner vers la forêt en chantonnant un air de bière. Daren le suivit du regard jusqu’à ce qu’il disparaisse au loin. Sans le dire, il avait trouvé le nain assez fascinant malgré tout. Il avait l’impression d’avoir fait un bon pas en avant sur son apprentissage, tant pour sa blessure que pour cette rencontre. Il tourna son regard grenat vers les yeux de Saruwatari d’un air calme.

- En route ?

Elle pouvait faire la maline sur son cheval, ça n’empêchait pas Daren de suivre aisément le rythme. Sa blessure le tirait un peu, mais il ne montra aucun signe apparent de douleur. C’était hors de question en fait. Durant les heures qui suivirent, ils parcoururent le long du lac, lui marchant sans relâche alors qu’elle s’était mise à dormir sur le dos de son cheval, rêvant même à entendre ses petits sons et ses mouvements. Cela dit, l’étalon se montra assez solidaire avec lui, lui donnant de temps en temps quelques coups de tête légers qui furent accueillis d’une main assez calme sur ses naseaux.
Daren se doutait sans réellement se tromper que l’approche du territoire des lycanthropes n’était pas une partie de plaisir pour Saruwatari. Et ça le serait encore moins pour lui. Il faudra lui éviter les haussements de voix, les feux, et tout le reste en fait. S’arrêtant parfois quelques minutes pour laisser le cheval brouter un peu ou même boire, Daren en profitait pour admirer le lac si étrange qu’ils bordaient. Il devait recéler bien des mystères...
La marche se poursuivit ainsi jusqu’à ce que le jour commence à décliner. Le jeune lunaire vit enfin la statue qu’il avait croisé à son chemin d’aller. Il comprit alors, grâce à leur rencontre avec Brinn, qu’il s’agissait d’une statue représentant un nain guerrier, symbole de mémoire pour tous les nains qui avaient combattu pendant ce que Brinn avait appelé « la Grande Guerre contre les Titans ». Elle était tournée vers Thaodia. Pour Daren il n’y avait pas de connotation agressive là-dedans, surtout après avoir écouté Brinn, il ne lui avait pas paru que les nains avaient des griefs particulières pour les loup-garous, en revanche, pour les elfes c’était autre chose. Du reste, Daren s’était même demandé que si jamais le nain avait su qu’il était demi-elfe, est-ce qu’il l’aurait alors détesté à moitié ?... Cette pensée le fit sourire alors qu’il déposait son sac et sa peau de bête au sol. L’étalon renâcla, se secouant un peu et réveillant les deux fainéants sur son dos par la même occasion. Daren secoua la tête en soupirant.

- Ca va ? Pas trop fatigué du voyage vous deux ?...

En réalité, pas que ça le dérangeait qu’elle se ballade sur le dos de son compagnon, mais il n’appréciait qu’à moitié qu’on en profite pour dormir là où d’autres épuisaient leur force. C’était un manque de respect à son sens. Lorsqu’on se déplaçait c’était ensemble, par avec une demi présence. Il n’accorda pas un mot de plus à Saruwatari. Qu’elle dorme ainsi lorsqu’ils seront sur les terres de Thaodia, sa vie sera vite écourtée... Du reste, il sentit des picotements dans son dos et force était de constater qu’à cause de ses déplacements, le cataplasme s’était délogé et que sa plaie s’était rouverte. Il n’allait pas pouvoir chasser avant que le saignement ne se stoppe. Défaisant la ceinture devenue inutile, il la rendit à l’humaine, sans une seule parole. Il allait faire ça à sa manière, sans son aide. Orgueil de loup dira-t-on. Prenant de l’eau il la fit couler le long de son dos et rinça les traces de sang avant de se mettre sur le dos au bord du lac, puis attendit un peu avant de se relever, le dos couvert d’une épaisse souche de boue. La terre n’aspire qu’à soigner ses enfants... Idiotie que Tuzan lui avait dit un beau jour en parlant de certains rituels que les leurs pratiquaient dans les temps anciens. Malgré cela, il avait dû reconnaitre que cette pratique était plutôt efficace. Le limon du lac en tout cas lui retirait déjà la brûlure que provoquait la plaie. A moins que le lac lui-même possède des vertus inconnues. Toujours est-il qu’il se sentait moins dérangé par sa blessure. S’installant sur sa peau de bête, il se mit à observer le lac tandis que le jour continuait de décliner, silencieux et patient. Pas de chasse pour lui ce soir, la boue allait sécher et protéger la plaie en permettant à celle-ci de guérir sans être agresser par l’extérieur.

Daren avait observé mine de rien les faits et gestes de Saruwatari, sentant son énervement, ses reproches certainement. Ses agissements étaient dictés par son comportement vis-à-vis de ses soins. Il ne comprit pas tout de suite pourquoi, mais petit à petit il prit conscience que son geste avait dû lui être blessant. Il n’était vraiment pas prêt à savoir gérer les échanges avec d’autres. La laissant donc s’occuper d’elle et de ses compagnons, il ne bougea pas de sa place, méditant sur les derniers évènements et se conditionnant pour essayer de ne pas laisser le silence se faire trop lourd. Il avait beau chercher, il ne voyait pas comment aborder la chose. Stupide bête sauvage... Autrefois, cela ne le dérangeait nullement, au contraire, il cherchait souvent à éviter de parler avec son tuteur, bien que celui-ci prenait un malin plaisir à venir le voir quand il en avait le moins envie. Maintenant le problème était inversé, sauf que lui, il était tout bonnement incapable d’aller la voir, de s’excuser ou même simplement de parler pour rompre ce mutisme entre eux. Les genoux repliés contre lui, son menton posé dessus et ses bras les entourant, il réessaya de trouver un moyen d’aborder l’humaine, mais aucun de ses scénarii ne lui paraissait judicieux. Il commençait à avoir faim du reste et cela n’améliora pas son état à demi concentré.

Le vent soufflait un peu, un vent d’est. Daren en profita pour humer l’air, quelques bribes de parfum de Thaodia lui parvinrent au nez. Etrangement le vent tourna, si bien qu’il se mit à venir du nord cette fois, plus froid et mordant. Daren se frotta un peu les bras, respirant profondément, n’ayant toujours pas trouvé de solution à son problème. Soudain, une odeur lui effleura les narines et le fit ouvrir les yeux en grand. Tuzan. Il se redressa d’un bond et renifla comme un animal en chasse, sans s’occuper de Saruwatari. Une haine viscérale remonta en lui et il se mit à courir dans la direction d’où l’odeur venait. Ce sale traître l’avait abandonné et maintenant il le narguait en trainant dans les parages, il en était sûr ! Se brûlant les poumons avait cet air glacé qu’il respirait dans un rythme effréné, il traversa un morceau de terrain avant de s’arrêter pour humer l’air afin de ne pas perdre la piste dans sa précipitation. La peur, la haine et la rage, tout se mêlait en lui. Où était-il ? Il le sentait tout proche de lui. Mais où bon sang ?! Soudain il se sentit attraper sous la gorge et quelque peu soulever en arrière, un souffle chaud sur sa joue et son dos contre une masse brûlante.

- Tu seras toujours trop prompt à te lancer tête baissée sans réfléchir, Daren...

Le bras sous sa gorge, l’autre main lui maintenant le bras dans le dos, l’empêchant de bouger et de se défendre, il se débattait tant bien que mal en hurlant de rage. Un bref rappel à l’ordre sur sa gorge et son poignet le fit obtempérer. Il se mit à gémir sous la douleur poignante que lui infligeait son tuteur. Les larmes de sa rage perlaient déjà sous ses yeux et sa mâchoire le lançait tant il la serrait.

- Je préfère ça... Alors, j’ai cru comprendre que tu t’étais fait une nouvelle connaissance ? Voir une nouvelle... amie ? (il tenta de se dégager en vain) Oooh Daren, mon petit... Elle n’est qu’un tas de chair offerte à ta faim. Pourquoi refouler ce que tu es ? Hein ?

Les murmures de sa voix grave et suave lui décrochèrent un autre gémissement de rage. Il sentait les ongles de sa main s’enfoncer dans son épaule, là où il était blessé. Il se mit à hurler de plus bel sous la douleur, s’arquant un peu mais impossible de fuir. De nouveau ce souffle chaud sur sa gorge et sa voix insupportable :

- Elle ne t’apportera que des ennuis... C’est une proie pour n’importe lequel d’entre nous, tu le sais. Qu’est-ce qui se passera une fois que tu seras chez nous ? Elle sera tuée et toi avec si tu continues à la protéger. N’oublie pas, Daren, les faibles meurent, les forts survivent. C’est dans l’ordre des choses... Et toi, sale petit bâtard, tu es voué à ta perte si tu te ranges du côté de ceux qui ne méritent pas de vivre. Veux-tu être celui qui reste derrière pour toujours, Daren ?... Mourir dans la honte sans jamais avoir fait tes preuves... Et un jour te montrer digne de ton père...

La douleur s’amplifia, lui donnant un hurlement déchirant, son médaillon semblait lui brûler le poitrail alors que le sol rougissait avec son sang qui s’écoulait sur le sol. Son hurlement fut tel qu’il ouvrit les yeux et se redressa d’un bond en terminant de laisser son cri sortir de sa gorge. Il se tenait l’épaule, se rendant compte que c’était ses propres griffes plantées dans son épaule et son propre bras autour de sa gorge. Il s’était endormi, sans s’en rendre compte. Tout ça n’avait été qu’un cauchemar. Si réel... Il ne put réprimer ses larmes, non pas sous la douleur alors qu’il desserrait ses doigts rouges de son épaule, mais de cette haine sans borne qu’il vouait à son tuteur. Il venait le hanter jusque dans ses rêves maintenant. En sueur, recroquevillé sur lui-même, il mit son front contre ses genoux en laissant ses larmes le calmer. Il ne s’était pas rappelé la présence de Saruwatari tout de suite. Son autre main vint naturellement prendre son médaillon, si froid... Il gémissait en sourdine, tremblant encore, ses nerfs piquants, et une légère fumée émanait de sa peau brûlante.

Reniflant, déglutissant et se calmant, encore brûlant, Daren eut bientôt une tête d’étalon sur la gauche et une tête de truc à poils sur la droite avec des coups de langue sur sa joue. Il tremblait toujours un peu, posant une main maladroite sur le museau du cheval. Dans le fond, ça l’aidait à s'apaiser. Puis il entendit la voix de Saruwatari. Il venait de se souvenir après coup de l’endroit où il était et avec qui. Les images et surtout les paroles de son rêve murmuraient doucement dans sa tête, mais il les chassa d’un mouvement de tête en terminant de reprendre son souffle et de stabiliser les battements de son cœur. L’image de l’humaine égorgée puis dévorer par ses soins le fit frissonner, à la fois de peur, et d'envie. C’était comme si des signaux multiples l’assaillaient de toute part, lui faisant remonter ses plus bas instincts aussi primitifs que brutaux. Son ventre gronda et il se doutait que sa faim devait avoir une part de responsabilité dans son état. Suçant un peu ses doigts afin d’enlever son propre sang dessus, il se trouvait incapable de bouger pour s’approcher de la nourriture que lui avait gardé Saruwatari de côté. C'était même au final pour ne pas s'approcher d'elle tout court, de peur de lui sauter dessus sous une pulsion incontrôlée. Il hésita un moment, se mordant légèrement la lèvre, son épaule lui lançait des pics de douleur.

- J’ai mal... (il releva son regard écarlate vers ses yeux) Dis moi... les... Enchanteresses... Est-ce que... ça peut faire guérir... plus rapidement ?... Ou même... empêcher de dormir ?...

Sa vue se brouillait un peu, son état de faim le rendait à moitié inconscient, à moins plutôt que ce soit les réminiscences de son cauchemar avec le trouble que cela lui avait infligé. Il n’en savait rien, mais par contre, il savait que s’il ne se nourrissait pas, la faim prendrait le dessus et la bête aussi... Et il risquait de mettre son cauchemar à exécution. Cela le rendit furieux une nouvelle fois, mais pas assez pour qu’il le montre ouvertement. De toute façon, il était trop faible. Cette fois, c’était des sueurs froides qui le parcouraient, il pâlit même un peu. La dernière fois qu’il avait été dans un état proche de celui-là, c’était quand il s’était fait mordre par un ophale malade. Il avait déliré pendant trois jours sous la fièvre et son tuteur l’avait veillé sans relâche, ne dormant qu’à peine. Son tuteur... Daren serra encore plus fortement son médaillon dans sa main.

- Au moins maintenant je sais que tu n’es pas une Enchanteresse... Je ne sais même pas ce que ça veut dire en fait...

Prenant la nourriture, Daren ne fit aucune grimace et mangea doucement. Cela lui fit déjà reprendre des couleurs. Il était assez inquiet de la voir s’éloigner seule, mais après tout, elle lui avait bien dit qu’elle était capable de se débrouiller. Il se reprochera plus tard son inquiétude à son encontre. Et puis de toute façon il ne pouvait toujours pas bouger. Prenant son mal en patience, il se détendit, les deux amis de Saruwatari lui tenant compagnie, plutôt attentifs à son état. Attendant qu’elle revienne, il caressa les naseaux de l’étalon qui venait de s’allonger près de lui. Il lui parla d’une voix très basse et comme à un confident :

- Je suis pas un modèle de compagnie agréable hein ?... (l’étalon renâcla un peu) Ca marchera pas... Je suis pas fait pour ça... J’vais finir par faire quelque chose qui va la blesser... ou pire...

L’étalon posa sa tête sur ses jambes, soufflant fortement, comme pour lui dire qu’il avait confiance en lui malgré tout, à la manière d’un encouragement peut-être. En tout cas, Daren voulut le prendre comme tel. Ca le rassurait intérieurement. Il entendit Saruwatari revenir et se tut, tournant la tête vers elle alors qu’elle se penchait près de lui en lui tendant une capsule d’une plante. Pavot. Tuzan lui en avait déjà donné. Il hocha la tête en la prenant et croqua dedans d’un coup pour l’avaler ensuite. Une suffirait, deux pouvaient lui faire perdre le contrôle sur sa bête.

- Merci...

Il déglutit, se sentant un peu idiot. Plongeant son regard dans le sien, il entendit les battements du cœur de l’humaine battre un peu plus fort et sentit une légère montée de chaleur en elle. Il ne savait foutrement pas quoi lui dire de plus. Qu’il avait mal réagi ? Qu’il n’y connaissait rien dans la manière d’être avec d’autres personnes ? Qu’il était désolé ?... Même son regard ne pouvait pas le dire à sa place, restant d’un calme et d’un air faussement serein. Soudain, un bruit aiguë le sortit de ses pensées, un sifflement comme il détestait en entendre. L’eau en grande ébullition était entrain de déborder dans le feu. Un peu plus et le récipient décollerait tout seul.

Le jeune lycan détailla soigneusement les faits et gestes de Saruwatari. Elle était prévenante avec lui, malgré tout ce qu’il avait pu dire ou faire. Elle avait un bon fond, il devait bien le reconnaître, ce qui n’était peut-être pas forcément son cas à lui. Prenant le godet avec l’infusion et le nouveau repas qu’elle lui proposait, il hocha la tête en l’écoutant, mangeant et buvant doucement.

- Alors les enchanteurs sont des gens à éviter... S’ils sont aussi puissants, ils sont dangereux...

Daren accorda un morceau de nourriture au petit truc de poils qui grignota son butin sur son épaule. Quand à l’étalon, il eut le droit à la moitié de son fruit. Terminant le tout, il s’allongea sur le dos, grimaçant légèrement car il s’appuyait sur sa blessure, mais ça irait bien comme ça. Il tourna la tête vers elle, l’observant toujours. Elle était différente quand elle le regardait. Elle rougissait et semblait confuse à chaque fois qu’elle se détournait de lui. La mettait-il si mal à l’aise ? Il ne savait pas. Après tout, si elle était aussi peureuse et même s’il lui avait sauvé la vie, il se doutait bien que de faire confiance à un animal de son espèce n’était pas chose aisée. Son métissage ne lui épargnait pas vraiment sa condition de bête, au contraire, cela lui avait valut cette croissance hors norme, ses détails plus bestiaux, son comportement... Tout ça réunit commençait à faire beaucoup. « Officiellement tu n’existes pas ».

- Je n’existe pas, répéta-t-il dans un bas murmure. Je ne sais pas comment je dois me comporter... Je ne sais pas réagir avec une autre race... Je ne serai jamais prêt...

Parlant tout bas, pour lui-même, dans quelques souffles fatalistes, il se mit à regarder les étoiles, portant une fois encore sa main à son médaillon. « Sale petit bâtard »... Il n’arrivait pas à effacer les paroles de Tuzan de sa tête, même avec l’infusion. Il luttait pour ne pas s’endormir. Il voulait comprendre ce cauchemar, si tant est que cela en était réellement un. Il avait du mal à faire le point. Le petit truc de poils resta niché contre son cou, tout comme la tête de l’étalon près de son bras. C’était une belle solidarité qui le rendit moins amer. Demain ils atteindront la forêt des damnés, et il se surprit à en devenir aussi anxieux que ça aurait pu l’être pour Saruwatari. La terre des lycanthropes n’avait rien d’accueillant, et lui-même n’en connaissait d’un infime morceau. Mais sa conviction que cet endroit serait le point de départ de son ascension vers son droit d’exister lui donna un nouvel élan de détermination et d’espoir. Les loup-garous lui apprendraient, même si c’était dans le combat. Et puis, il avait déjà appris pas mal de choses auprès de Saruwatari, et du nain Brinn Berkaloc, aussi brève leur rencontre fut-elle. Oui, décidément voyager en compagnie de l’humaine l’avait déjà fait avancer, c'était une bonne chose, et ils continueraient encore. Tuzan ne perdait rien pour attendre... L'effet de l'infusion devenait trop fort, et bientôt il s'endormit d'un sommeil profond et sans rêve.

Le jour levé, Daren finit par gigoter un peu et s’éveilla doucement, la faim qui le tenaillait au corps n’y étant certainement pas pour peu de choses. Se redressant doucement, s’étirant et laissant ses muscles se réchauffer, il tourna la tête vers l’humaine avec un air encore à moitié endormi. Il se sentait vraiment requinqué et en pleine forme. C’est à elle qu’il le devait et à ses soins. Sa plaie était presque cicatrisée, il le sentait, et il n’avait même plus mal. Les lycanthropes, quoi qu’on en dise, savaient se régénérer rapidement avec les soins appropriés. Se levant et rendant sa peau de bête à Saruwatari, il s’installa près d’elle et du feu, il la regardait s’occuper de ses prises de pêche matinale. Il savait pêcher, du moins en théorie, mais la technique que maîtrisait l’humaine lui plaisait beaucoup. Une forme de chasse en somme. Les poissons pêchés avaient réellement des formes surprenantes, et certains avaient beaucoup de couleur. Daren se méfiait des animaux trop colorés, parfois c’était signe qu’ils étaient venimeux ou vénéneux comme les champignons parfois. Mais il faisait confiance à Saruwatari, plus calée dans le domaine que lui. Tandis qu’elle préparait, il laissa le truc de poils venir chiper un morceau pour se percher de nouveau sur son épaule droite, tandis que l’étalon s’était lever pour brouter un peu avant de se rapprocher d’eux. Ils étaient restés avec lui toute la nuit, il n’en revenait pas lui-même.

- Bonjour, fit-il à l’humaine une fois assis près d’elle.

Il ne savait pas quoi dire d’autre, et préférait éviter de commencer à dire quelque chose qui pourrait mal tourner. Son visage n’avait pas de trace de boue, les larmes de la veille avaient bien nettoyé. Il se contenta alors de continuer Saruwatari faire avec le poisson. Il ne demanda pas de nouvelle capsule de pavot, c’était préférable tant qu’il n’en avait pas besoin. Roulant un peu ses épaules, ses articulations ainsi que sa nuque craquèrent un peu. Il mit une brindille au feu, fixant les flammes de ses yeux rouges.

- Je crois que ma blessure est presque guérie... D’ici ce soir je n’aurai plus besoin de pansements... Grâce à toi...

C’était une forme de compliment comme une autre. Pour lui c’était déjà beaucoup d’accepter d’être redevable envers quelqu’un.

- On atteindra la forêt des damnés dans l’après-midi si tout se passe bien...

Il redoutait déjà les questions de l’humaine et se mit déjà à réfléchir aux réponses qu’il pourrait lui fournir. Il devait se rendre à l’évidence, il n’en aurait pas beaucoup qui lui plairaient.